les nouveaux sentiers du batut

Comment un village oublié se fabrique un avenir

Dans le Guépard, Lampedusa fait dire au baron témoin des deux mondes qui s’affrontent devant lui qu’il  » faut que tout change pour que rien ne change ». La remarque s’applique à l-Italie du début du vingtième siécle. mais on peut se demander si elle ne pourrait pas s’appliquer aussi bien à la République du Batut, sise au fond de la vallée du Goul, placide rivière allant se jeter dans la Truyère, du côté d’Entraygues, au nord du lot.

Car enfin, voilà un village qui a, lui aussi, connu une époque sinon d’opulence, d’au moins une relative richesse, qui a permis en tous cas, de cultiver tous les alentours – et ce n’a pas du être choses aisée vu l’escarpement et l’encaissement des lieux – et qui semble connaitre une seconde vie depuis que quelques hurluberlus ont décidé d’en faire quelque chose. Et s’il est plus question pour eux – Christian, Cathy, Robin, Emmanuelle, Christine… – de développement touristique et de résidence d’artistes, de cheval et de culture que de maraichage et d’élevage, n’y a t-il pas quelque chose qui relient les générations qui se sont succédées dans ce coin du monde ? Quelque chose qui aurait à voir  avec une farouche volonté de partager une passion, de transmettre de quoi se nourrir,  au sens large du terme, de proposer et de faire vivre une façon de concevoir de ce que doit être une vie, de porter haut quelques valeurs qui se transmettent, tant bien que mal, à travers les âges ?

Et bien, c’est ce qu’on va voir…

Le Batut, dans son écrin : la vallée du goul

Depuis la nuit des temps, il est une constante bien établie dans le fait que les vallées du nord de l’Aveyron ont vu passer bien des specimens de la vaste confrérie humaine. Depuis les mongols jusqu’aux maures, la palette est large. Ils n’ont fait que passer ou alors se sont arrêtés. Faut dire qu’on y est tranquille dans ces vallées profondes et que le climat y est propice. On a bien naturellement envie de se blottir quelque part et de rester là, tiens…

Des vallées creusées par les rivières répondant aux doux noms de truyère, du dourdou, du goul… Ici ou là, les hommes se sont donc arrêtés. Ont bâti des maisons. Ont cultivé. Des fruits et des légumes sur les versants sud, de la vigne et des châtaignes sur les versants nord. Construit des terrasses partout, des centaines de kilomètres de murets en pierre sèche, opiniâtrement, sans désarmer jamais, amener de l’eau par tous les moyens que l’imagination humaine a jugé bon d’inventer au fil du temps, plantés des arbres partout, des ceps de vigne sur des milliers d’hectares. Et tout ça sur les siècles des siècles. Semer la vie partout.

Et leurs maisons aussi bien sûr. En pierre sèche les murs. En lauze arrachées à la terre les toits. En châtaignier ou en chêne les poutres, les voliges. Traversées les siècles elles aussi. Bâti ainsi des villages. Toujours là : Vieillevie, Entraygues, Pons, Conques, Murols, St hyppolyte… Et le Batut. Au bout d’une route où, l’empruntant, on est amené à se dire qu’il a bel et bien existé une époque où les pouvoirs publics n’abandonnaient décidément personne… Une route arrachée à la roche, taillée dans le schiste… Comme tous les autres villages du coin, le Batut comptait des paysans qui rendaient vivants les alentours. On les appelait les coustoubis, ils cultivaient en bas et aller vendre en haut, sur les plateaux où sont les plus gros villages, où l’eau est plus rare… C’est ce qui a fait leur richesse… relative… Y’a jamais eu de Rockfeller dans le coin… Mais quand même…

Cathy en son royaume

Et puis les temps ont changé.. Des gens, quelque part, bien intentionnés sans doute, ont décidé qu’il fallait, dans les campagnes, des tracteurs, des surfaces dont on voit pas le bout, des emprunts pour les payer et, dans les villes, des cités dortoirs verticales plantés pas trop loin des usines. Et puis le phylloxéra a fait le reste… Les vallées se sont vidées de leurs forces. Petit à petit mais inexorablement.

Inexorablement ?

Pas si sûr au bout du compte.

D’autres types d’humains sont venus. Et sont restés eux aussi. Ils cherchaient sans doute quelque chose. Ont essaimé dans les vallées accueillantes alentours. Au batut, ils ont pour nom Christian, il y a aussi Cathy, il y a encore Robin et Emmanuelle. Ici, ils se sont même croisés un temps : Justin le dernier des coustoubi et les nouveaux venus au mitan des années quatre vingt. Un seul endroit mais deux mondes. Ils ne sont pas venus pour y faire la même chose. Justin était né là et s’était marié avec une fille du coin. Son univers, toute sa vie, c’était la vallée et les marchés alentours. Christian, Cathy, Robin, c’est autre chose. Toute autre chose. Les temps sont changé et maintenant, les vallées accueillent des résidences secondaires, des touristes et des artistes en quête d’une paix qu’ils ne trouvent pas ailleurs sans doute… Et bien le Batut est un coin pour eux maintenant. Et pour ceux qui le font vivre, ça reste toujours aussi dur. Le travail ne manque pas. Les salaires n’y sont pas très élevés. Un peu comme avec les coustoubis. Parce qu’en quelque sorte, c’est comme une tradition qui est ainsi perpétuée qui préférera toujours l’être à l’avoir. Qui fait aux gens des vies qui débordent.

Cathy et Christian

Prenons Christian : notre homme, qui a largement dépassé les soixante années maintenant, n’est pas un homme de la vallée. Il est né à Boulogne Billancourt ! Mais se rend très tôt et souvent dans l’Hérault où sa mère achète une ruine. Il se trouve qu’à côté se trouve une ferme où il y a des chevaux. Ces petits détails vont décider du reste. Des visites répétées chez les voisins vont faire naître une passion sans rémission possible chez l’adolescent. Tant et si bien qu’avec ses premières économies, dés qu’il est en âge de travailler, ses seize ans sonnés, il s’achète une jument plutôt qu’une mobylette. Et plutôt que passer le bachot, il décide de travailler trois mois en usine pour pouvoir se payer cette jument. Il vient de se choisir un destin. Il commence à faire les saisons dans l’Hérault et veut passer son ATE, le brevet d’accompagnateur de tourisme équestre. Petit à petit, il économise sur ses paies et achète un deuxième cheval. Rencontre une fille avec qui il achète et retape une vieille grange, du côté de Bédarrieux. Il apprend ainsi, sur le tas, bien des choses qui lui seront utiles au Batut dans les multiples travaux que ceci va occasionner. S’essaie à l’élevage de chèvre en GAEC tout en continuant à acheter des chevaux. Il commence à travailler avec un public adolescent, organise des randonnées, des séjours thématiques. Notamment avec les Houillères de Lorraine. Mais, nous dit-il, même si «  j’étais bien décidé à ne pas vivre du cheval », le comité d’entreprise des Houillères lui fait savoir qu’il poursuivraient bien la collaboration mais il faudrait qu’il ait quelque chose à lui.

Et là, il sait qu’un terrain, quelque part, aux confins du lot et du cantal serait disponible. Il pourrait y continuer son élevage de chèvres et construire un haras pour mettre ses chevaux. Nous sommes dans l’hiver 1984. Il y a trente quatre ans donc.

Il achète pas cher. Pas loin de trois cent mille francs ( environ quarante mille euros). Deux maisons partiellement en ruine et une trentaine d’hectares de terrain alentours.

«  Alors, là, je ne voulais pas vivre des chevaux et j’ai fait tout le contraire. Même si j’ai gardé les chèvres jusqu’en 1992. Mais entre 1985 et 1992, j’ai fait éleveur de chèvres, fromager donc, je m’occupais des chevaux et des colos qui continuaient à venir ponctuellement, j’ai été maçon, mensuisier-ebeniste, couvreur. Il fallait bien qu’on habite quelque part… J’ai fait les bâtiments pour les chevaux d’abord, les gîtes ensuite. Ma maison après. J’avais pas beaucoup de moyens, on a fait beaucoup avec des matériaux de récupération, des restes de décors de cinéma parce que je connaissais quelqu’un dans le milieu à Paris qui avait ça. Finalement, j’ai construit des maisons toute ma vie. Passé ma vie sur des chantiers. C’est comme ça.. En plus, très vite, ma nana est partie et je me suis retrouvé seul face à tout ça. Ma petite venait de naître. C’était compliqué avec le voisinage : y’ avait les chevaux, et après le camping, les gîtes… Ca n’a jamais été simple en fait… Les emprunts à rembourser, tout ça… Longtemps, j’ai tout fait tout seul. Les journées avaient pas assez d’heures. Maintenant, c’est Cathy qui gère l’accueil et moi je m’occupe exclusivement des chevaux. On a sérieusement levé le pied.».

Effectivement, il faut avoir vu les photos des lieux avant l’arrivée de Christian. Il faut avoir vu le petit film de mauvaise qualité qu’il a fait lui même, avec les moyens du bord, lors de son arrivée, pour se rendre compte de l’ampleur du travail réalisé ici, un jour où l’autre. Le débroussaillage, le terrassement pour gagner du terrain et installer le camping ; construire, pierre après pierre, des lieux pour les sanitaires, la piscine, de vieilles granges faire des gîtes habitables, au nombre de trois maintenant ( huit, six et, cinq personnes), quatre chambres d’hôtes pour deux à trois personnes, installer une cuisine susceptible de faire manger des dizaines de personnes. Prendre conscience de la solitude qui a été la sienne devant toute la somme des heures de labeur pour réaliser l’improbable quête de faire revivre les lieux : « J’ai vraiment bossé comme un malade. Ca, je peux le dire ! Pas de vacances, toujours quelque chose à faire, tu peux pas arrêter.. Y a les emprunts à rembourser, les salaires à verser, les charges.. On a eu beaucoup d’articles de presse ; alors, du coup, le fisc s’y est mis lui aussi..».

Il y a aussi Cathy. Parce que le Batut, c’est aussi elle. C’est elle, le goût du Batut, et quiconque y vient en a forcément des souvenirs plein les papilles. C’est elle qui, en cuisine, notamment l’été, orchestre en douceur les faits et gestes de toute une troupe de whoofers, venus de tout le vaste monde. Entre la soixantaine de places en camping, les gîtes et les chambres d’hôtes, ce sont des centaines de repas à servir, des kilos de draps à laver, des hectomètres de carrelage à récurer tout au long d’une saison qui s’étale depuis le mois d’Avril jusqu’en Octobre si le temps est assez clément.

Cathy est lyonnaise d’origine. Commence des études en histoire pour faire de l’archéologie. Qu’elle ne finira jamais. Elle bifurque. Multiplie les petits boulots. S’intéresse aux arts martiaux à tel point qu’elle va en faire son métier en enseignant le taÏ-shi. Crée même une école dédiée à Bourg en Bresse. Mais comme elle est passionnée aussi de cheval depuis toute petite, ses pas croisent un jour ceux de Christian. Il y a aussi la deuxième enfant de Christian dont il faut bien s’occuper. Elle reste donc un peu au Batut. Avant de partir à Rodez s’occuper d’une entreprise de pompes funèbres. Revient. Repart. Devient ambulancière à la Canourgue. Prend finalement les rênes de l’accueil au Batut. En gérance d’abord. Puis comme propriétaire. Christian lui construit un toit de ses mains. Et, l’air de rien, au fil des années, une chose en appelant une autre, se construit ainsi peu à peu un accueil du visiteur comme on n’en trouve pas à chaque coin de rue. C’est le moins que l’on puisse dire.

Car, il faut mesurer que tout ici se fait dans un esprit un peu particulier. C’est d’abord, sous une grande tonnelle parée de vignes, la grande table et ses bancs en bois qui vous acceuillent et où se déroulent les repas pris en commun pour ceux qui veulent et où la patine du bois laisse deviner que des milliers de fesses et de coudes se sont appuyés ici tout au long des années. C’est ensuite le verre offert – en général du vin fabriqué et arrangé maison – à chaque nouvel arrivant.

C’est aussi des efforts faits au quotidien pour conserver une certaine façon de vivre les uns avec les autres : il y a la criée – institution chère au Batut d’après une idée piquée dans un roman de Fred Vargas ! – où, chaque soir, à l’heure de l’apéro, l’ensemble des occupants des lieux, qu’ils soient au camping ou dans les hébergements en dur, se réunissent autour de la terrasse ombragée et lisent des messages qui ont été glissés durant toute la journée dans un chapeau laissé en évidence sur une table.

Et c’est souvent très drôle. C’est une assez jolie façon de revivre chaque journée en se rappelant ensemble les bons moments et en mettant à distance les moins bons. Tout ce qui compose une journée normale en somme. Et tous les occupants y sont fidèles, croyez moi, du plus jeune au plus ancien. Aucune dérogation. C’est ainsi que se conforte, au fil des jours, une mémoire commune à tout un chacun.

Il y aussi les cuisines collectives dans l’espace camping où tout un chacun vient faire sa popote et est invité à partager ses casseroles, assiettes et autres cuisinières et naturellement, de fil en aiguille, le résultat de ses préparations. Le soir, les guitares sont vite sorties et les discussions se prolongent facilement autour d’un café ou d’une mousse, c’est selon..

Attention ! C’est pas le paradis sur terre non plus. Bien sûr que tout le monde ne s’entend pas spontanément avec son prochain, bien évidemment qu’il peut y avoir des gênes dues à la promiscuité – mais pourquoi il n’y a plus d’eau chaude ? Mais qui n’a pas fait sa vaisselle ? Mais pour quiconque est un peu concerné par ses congénères, c’est quand même très intéressant : vous connaissez beaucoup de lieux où se mélangent quotidiennement un troupeau de gosses de tout âge – une belle vie qu’ils mènent ceux là, au Batut, où les nuits sont courtes et les siestes le long de la piscine bien réparatrices ! – , des apprentis chamans, des grands-mères un brin déstabilisées au début par tout ce remue ménage, des producteurs de spectacle, des raconteurs d’histoire, des gens résidant en habitat partagé, des professeurs de Qi, des jongleurs, des habitués, des nouveaux entrants, des couples avec des bébés, des couples sans bébé, des gens seuls, des amis de passage… ? Il y aussi les randonnées ou les baignades à faire à portée de pied, ou à dos de cheval, tout autour du lieu, accompagnés par les chiens du batut, Dakota et Dalhia, qui adorent jouer au berger avec les promeneurs..

Bref, c’est un mode de camping qui reste une expérience particulière et qui ne peut laisser indifférent en tous cas. On y expérimente, in vivo, des modes collectifs de vacances en essayant de laisser de côté le côté parfois pesant de ce type de tentative. On n’est pas dans une communauté non plus, c’est juste une tentative pour proposer quelque chose de différent. Des fois, ça frotte un peu. D’autres fois, c’est très agréable. Mais c’est toujours intéressant. On peut y être tranquille, on peut y être dérangé, on n’est sûr de rien… C’est ainsi au Batut…

L'essieu du batut

résidences et acceuil d'artistes

Et puis, il y a Robin… Autre spécimen de néo habitant qui va bientôt aborder ses soixante-dix printemps et qui a investi les lieux lui aussi pour y planter une maison, une résidence d’artistes et son atelier de lutherie. Il a connu le lieu via le cheval lui aussi : décidément, faut croire que c’est un sacré vecteur de lien social et de rencontres, le canasson !

C’est comme ça qu’un beau jour, il a su que l’autre moitié du village était à vendre après le décès du coustoubi. Il a donc acheté, il y a presque dix ans maintenant, les deux dernières maisons du village. D’une il a fait une demeure, la sienne, où il réside les trois quart de l’année. De l’autre, son atelier et une résidence pouvant accueillir jusqu’à une grosse dizaine d’artistes voulant travailler tranquillement pour un prix défiant toute concurrence. Et comme les artistes, il leur faut souvent un lieu de répétition, il a aussi fait construire, un peu à l’écart du village, un lieu ressemblant à un cube en bois de six mètres de haut, cent quarante mètres carrés au sol, pour qu’ils puissent exprimer leur art en toute latitude. Qu’ils fassent des arts du cirque, du théâtre, de la chanson, de la jonglerie au autre… Ca s’appelle le studio.

Car, lui aussi, avec Emmanuelle, son épouse, vient de ce monde là, un monde où on donne du spectacle aux autres. Un parcours singulier lui aussi. Le lieu doit les attirer ! Jugez plutôt : Robin est d’origine amérindienne, de la tribu des cherokees pour être précis, dans le sud des Etats Unis, Kingsport, Tennessee. «  Ma femme et moi, on est des hybrides, moi américano-français, elle franco-américaine ». Il la rencontre à New York, à travers la danse. Tous deux sont en effet des danseurs. Des danseurs de ballet. Le métier va les amener aux quatre coins du monde. Avec le Boston Ballet principalement. Mais les carrières sont particulièrement exigeantes et courtes donc. « Et puis,, c’est une vie militaire quasiment… La discipline y est très forte, quotidienne.. C’est un monde qui peut être étouffant pour l’individu… ». Elle continuera à enseigner la danse et les techniques du mouvement. A l’opéra de Paris et au Centre National de la Danse entre autres. Lui reprend ses études aux beaux arts, intègre l’école Boule et se spécialise dans la sculpture sur bois. Et puis de fil en aiguille il s’installe à Paris comme ébéniste et obtient en 1996 un CAP de luthier et se spécialise dans l’instrument médiéval, la viole de gambe surtout. Et puis, avec ses fils, c’est aussi un passionné de cheval. Qui sait transmettre à l’évidence puisque l’un, Jess, est devenu danseur classique et l’autre, Matthias, travaille avec la compagnie Bartabas

C’est bien cette appétence partagée pour le cheval qui les amènent tous un beau jour sur les rives du goul, Au Batut. Qu’il y revient régulièrement. Et de là… s’ensuit le reste… Le projet de résidence d’artistes, un héritage qui arrive à point nommé, le soutien de son épouse, celui d’une amie, Christine, ex danseuse elle aussi, qui s’occupe de l’aspect administratif des choses – ça tombe bien, c’est une ancienne responsable des résidences d’artistes du théâtre de la cité à Paris. « Elle maîtrise parfaitement l’administration parce que, pour moi, c’est compliqué ce monde là, je ne le connais pas. ». L’investissement n’est pas une paille quand même : de l’ordre des deux cent mille euros – cent mille pour le terrain et les maisons à retaper, cent mille pour le local de répétition construit en 2015 : «  j’ai eu de la chance dans ma vie. C’est le moment de partager, je crois... ».

Ce n’est pas un vain mot : les artistes accueillis disposent d’un lieu de résidence et de répétition pour quelque neuf euros par jour et par personne – qui dit mieux ? – « qui sert juste à couvrir les frais de fonctionnement. L’objectif n’est pas de gagner de l’argent. C’est justement un lieu plutôt conçu pour des jeunes qui n’ont pas trop d’argent. ». L’association gestionnaire s’appelle l’essieu du Batut. Essieu parce que la roue tourne autour. Partage encore : Robin nous explique longuement toutes les conventions passées avec les collectivités voisines pour donner l’occasion aux artistes accueillis de trouver un public lors de manifestations organisées à Murols, à Entraygues, à Mur de barrez… Du coup, on écoute avec attention quand Robin nous explique ce qu’il décrit comme un conflit de valeurs avec l’Amérique en général, et avec celle de Trump en particulier, à savoir «  Là bas, on laisse crever les gens dans la rue. Ici, il y un filet. On ne laisse personne sur le bord du chemin… C’est une des raisons qui font qu’après mon mariage en 1979, j’ai demandé la nationalité française ».

Le studio

Et donc, à l’essieu du Batut, il y a des artistes accueillies, comme Sarah et Camille. Présentes de jour là. Venues une semaine répéter une pièce de théâtre en construction qui s’appelle  » celle qui sait ». .

Et d’autres qui, à leur manière, laissent des mercis dans le registre de la résidence.

Quelques destins donc. Réunis ici. Vallée du goul. Des destins distincts. Mais qui ont en commun, nous a t’il semblé, une espèce d’obstination à construire quelque chose de sa vie, à poursuivre un projet coûte que coûte, jusqu’au bout. Et même au delà… Et qui ont bel et bien fini par créer un lieu de partage dont peut profiter presque tout un chacun, tant il est vrai que l’hébergement n’y est pas onéreux, – une caravane de quatre personnes pour quelque vingt euros par jour en pleine saison : qui dit mieux ?! La résidence d’artistes plus l’accès au studio pour le prix d’un paquet de clopes !! – à la portée de la plupart des bourses en tous cas, qu’on soit artistes ou simples vacanciers en quête d’un peu d’autrement. La maximisation des profits n’est pas vraiment la préoccupation première des occupants du lieu, on l’aura compris. Mais pour s’en convaincre définitivement, il faut les écouter parler. Les écouter parler de ce lieu et ce qu’il en font.

Ecouter Christian : «  Quand j’ai arrêté les chèvres, parce que je n’arrivais plus à tout faire, il me restait les chevaux. Et puis très vite, j’ai arrêté de recevoir des colonies parce que les agréments étaient trop compliqué à avoir. Maintenant, je pourrais recevoir beaucoup plus de monde avec l’activité cheval, organiser des sorties, des randonnées. Mais je suis nul pour tout ce qui concerne la commercialisation… je crois que j’ai pas envie en fait.. La retraite s’approche, elle sera maigre mais je veux profiter maintenant quand même… ». A écouter Christian, on devine au fil de la conversation qu’il ne s’est résolu qu’à contre-cœur à faire des chevaux son gagne pain et qu’il aurait voulu conserver sa passion intacte de la nécessité : il faut bien vivre aussi. La vie à fait que… Ca s’est passé comme ça… Maintenant, comme quelqu’un qui a beaucoup donné sans doute, il aspire à un peu de paix. Et qu’il ne l’a pas volé sans l’ombre d’un doute… Il y a aussi la perte irrémédiable d’un être aimé dont on sent que ça compte aussi… La tristesse qui affleure parfois au détour d’une phrase. Mais ça, ça ne regarde que lui… Lui, il veut surtout continuer à «  vivre dehors ».

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Ecouter Cathy : «  Je suis venue ici pour des vacances. Par amour du cheval. Depuis petite. Ici, je suis souvent partie. Parce que c’était trop… Parce que c’était comme ça.. Et puis je suis revenue une fois, deux fois… Pour Christian qui était bien isolé un moment dans tout ce qu’il faisait. Et puis il y avait Maya, sa fille, à élever… J’ai été un peu sa deuxième maman... »

Ecouter encore Robin : «  mon parcours est bordélique sans doute.. mais j’ai jamais fait que ce que j’ai voulu… Et maintenant il est l’heure de rendre un peu de tout ce qu’on m’a donné… Mes grands-parents ont grandi dans une réserve d’indiens et moi, j’ai fait le tour du monde… Alors, ici, on travaille beaucoup avec les écoles ou les centres de loisirs, bref avec les jeunes… Et c’est bien…Ce sont les artistes de demain. On aura toujours besoin d’artistes…»

Non ?

Alors, évidement, pour en savoir un peu, sur le camping aussi bien que sur le haras, sur les activités de l’essieu du batut tout comme le métier de luthier de Robin, vous pouvez aller faire un tour sur leurs sites respectifs. Facile ! Tapez l’essieu du batut, les sentiers battus pour le cheval ou camping le batut et vous tombez aisément dessus.