Mathieu Mouillet, la diagonale d'un fou de voyages

Mathieu

par Mathieu M

Comme annoncée sur la page facebook des carnets d’Ecir, nous voulions vous faire profiter de la venue sur les terres auvergnates et plus précisément autour du comptoir de chez Virginie et Stéphane Serre d’Alta terra ( qui sont aussi dans le hall of fame des carnets d’Ecir) de Mathieu Mouillet, globe trotter et néanmoins conférencier à ses moments perdus. En plus d’être écrivain et photographe émérite.

Dedicace

L'image et le son

Le matériel qui accompagne Mathieu

A toutes ses activités un point commun : le voyage. Partout. Mais de préférence dans les endroits les plus improbables. A pied ou en vélo. Parfois en canoé. Depuis les steppes mongoles jusqu’à la cordillère des Andes en passant par la « diagonale du vide », terme par lequel nos géographes nomment cette France, des Ardennes au fin fonds du Gers en gros, où on trouve des indices de densité humaine à un chiffre, la moins dotée économiquement, où les taux de chômage explose et la jeunesse s’en va, où, le plus souvent, on ne fait que passer pour rejoindre des cieux plus attirants. En passant aussi par le Massif Central, ses hautes terres et surtout le Cézallier. Où souffle l’Ecir, tiens. Mais de tout ça, si vous voulez connaître l’actualité et les activités de Mat le voyageur, le mieux est de vous rendre sur son site ( adresse en fin d’article). C’est très bien fait et vous permettra de vous faire une idée plus précise de ce que a fait, fait et fera Mathieu.

Nous, on a profité de sa venue à Alta Terra, pour donner une conférence et dédicacer son livre (qu’on vous recommande vivement, c’est très bien écrit et intéressant de bout en bout) qui relate sa traversée de cette fameuse diagonale, réalisée en dix-huit mois. Avec comme philosophie d’aller le plus lentement possible. Et prendre le temps de regarder et de rencontrer. Pari tenu : il aura fait quelques deux mille kilomètres en dix huit mois quand il en avait fait vingt cinq mille dans le même tempo lors de son tour du monde en vélo réalisé autour de la naissance du siècle. Mais, si vous le rencontrez, ne lui demandez surtout pas combien il en a fait, de ces sacrés kilomètres et si ça use effectivement les souliers, la question l’énerve parce que justement, ce n’était pas le but du voyage entrepris sous d’autres auspices. Pas le genre à s’énerver pourtant mais là…

Et puis aussi, il faut parler un peu du personnage que l’on suit depuis longtemps, via les réseaux sociaux, à travers ses multiples pérégrinations. Et comme il est pas du genre à se mettre en scène, on l’avait en fait peu vu physiquement et on imaginait facilement, compte tenu des performances sportives réalisées, un espèce de golgoth bodybuildé ou alors un sportif hyper asséché par toutes sortes de régime, voire un genre baroudeur couvert de cicatrices à la voie éraillée, le verbe rare, regard fixé sur l’horizon… Et bien tout faux, trois fois tout faux… Mathieu n’est rien de tout ça… Un physique comme tout le monde, ni trop, ni pas assez, plutôt la ceinture abdominale du gourmet qui sait ne pas abuser, la calvitie qui prend ses aises, la démarche et l’élocution un peu timide au début, la conversation facile.. Un remède par excellence au bling-bling, à toute forme d’esbrouffe. Quelqu’un qui semble avoir banni les « moi, je » de son vocabulaire, les déclarations de certitude, qui préférera toujours le conditionnel à l’impératif, qui vous tend une main franche, avec un œil intéressé sans être inquisiteur. Quelqu’un qui ressemble à ses voyages en somme. Loin des sentiers battus, aussi proches que possible des endroits qu’on fuit habituellement, ceux qui sont pas sexy pour deux sous, une image déplorable ou pas d’image du tout ( la Meuse ? Bon sang, mais c’est où déjà ?), L’Aube, Les Cévennes, les GR des Pyrénées l’hiver, la Creuse et j’en passe..). Drôle d’itinéraire non ? Le chemin de quelqu’un qui, à l’évidence, cherche quelque chose. Mais quoi… ?

Parce que si l’enveloppe paraît souple chez Mathieu, gageons qu’au centre, près du noyau, c’est bien plutôt de granit dont il est question. Parce quand même, il y a de la constance dans la façon qu’il a de mener sa barque depuis près de vingt années maintenant. Et souvent dans de drôles de courants. On peut même dire que dans la série de ceux qui n’en font qu’a leur tête, Mathieu pourrait occuper une place de choix, pas loin des premiers rangs, il nous semble.

Jugez plutôt : voilà notre jeune homme tout frais diplomé de l’ICN de Nancy – école de commerce et même ci devant business school toute entière dévouée à former les cadres de demain, comme elle l’annonce fièrement sur son blason numérique – et qui choisit donc de partir au Maroc dans le cadre d’une coopération universitaire. Nous sommes en 1998. Pour Mathieu, c’est une expérience qu’il nous décrit comme fondatrice : «  c’est une expérience totalement acculturante pour moi. Mais frustrante dans le sens où on était parti à cinq et ce qu’on a gagné en apéro et bonne chair, on l’a perdu en aventure. Pendant trois mois, c’était quand même super et je n’ai pas eu envie que ça s’arrête. J’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais mais en mode roots. Je cherchais l’aventure, du local, des rencontres surprenantes… Et très vite, on a imaginé avec un des copains un tour du monde. Et c’est devenu central dans mes choix de vie. Je pars en coopération comme ça se faisait à l’époque pour le groupe Total à Berlin. Et Berlin, à l’époque en tous cas, ce n’était pas une ville chère… Donc on met de l’argent de côté…

On commence à sérieusement imaginer le truc, on est musiciens tous les deux donc il y aura de la musique, ce sera à vélo pour gagner du temps, on pourra récolter des sons partout où on va aller. On se fixe un budget, on se met à chercher des sponsors et on se débrouille pas trop mal au bout du compte puisque sur un budget de 240000 francs ( environ trente cinq mille euros pour ceux qui sont nés après l’an 2000 !), moi, ça me coûtera 30000 francs à peu près. On a décidé de faire en trois fois pour des raisons de logistique et parce que mon copain ne peut partir que pour six mois. Alors, du coup, on prévoit de faire six mois en Asie, six en Afrique et six en Amérique latine. On commencera par la route de la soie qu’on fera à partir de l’Inde et qu’on remontera à l’envers. Il nous faut éviter la mousson au départ. Si bien qu’on part au mois d’Avril 2001 depuis l’Inde. Et c’est l’horreur tout de suite. Il fait trop chaud, les gens sont trop curieux, trop envahissants, tout le temps, c’est épuisant. Vraiment, les débuts sont compliqués. Mais on tient. En Septembre, on est en Iran et tout le monde nous hurle, depuis les liaisons qu’on a , de revenir. Et nous on est reçu comme des princes dans les montagnes autour de L’Elbrouz.

L'arbre et le silo dans l'Aube

Photo Mathieu M

A ce stade, vous pouvez, amis lecteurs, vous rendre sur le site de Mathieu. Pour vous faire une idée plus précise de cette traversée du monde. Effectivement réalisée en trois fois. La deuxième année, jusqu’en octobre, avec un autre copain « je sais pas si j’aurais eu le courage de le faire tout seul ». L’autre jour, Mathieu nous a juste raconté, pour ne pas embellir le tableau plus que de raison, sa découverte de toute la violence du monde ( la Jamaïque qu’on lui déconseille, le racisme latent au Sénégal, le 11 septembre…) et puis surtout la lassitude devenant pesante. Lassitude physique d’abord. Lassitude morale ensuite : «  j’en avais marre des rapports superficiels, où partout tu ne fais jamais que passer,tu ne t’impliques nulle part, tu répètes la même chose, toujours . Et puis, il y a eu le Sénégal, où tu es harcelé en permanence. Peut être c’était moi qui ne supportais plus. A un moment, je me suis dit qu’il était temps de rentrer. ».

«  Alors j’ai pris mon temps pour rentrer. Je ne voulais pas que ce soit trop rapide. J’ai trouvé un cargo qui faisait Abidjan – Rotterdam. Ca a duré douze jours. Je les ai passés quasiment que dans ma cabine où j’ai commencé à écrire sur ce que j’avais vécu ».

les blés de la Haute Marne

photo Mathieu M

Le retour est difficile. « J’avais pas préparé. Je me suis retrouvé chez mes parents. Dans le sud. Le bouquin n’intéresse personne. Je connais rien au monde de l’édition. Ca marche pas. Et puis il me faut travailler. Pour bouffer. Mais je veux continuer à voyager, c’est une chose certaine. Je trouve un job à Paris de conseiller en web marketing. Mais au bout de deux ans, je me dis que ce n’est pas possible que je continue comme ça. Et des copains me proposent un projet de site internet sur le voyage. Ca dure deux ans et ça commence à prendre. Mais le modèle économique n’était pas bon sans doute et l’aventure s’arrête. Il me faut toujours gagner ma vie bien entendu. Alors, je fais du conseil en free lance, des missions à droite, à gauche et je finis par créer ma boite quasiment par inadvertance (!). Mon modèle, c’est à peu près ça : une mission, un voyage. Et ainsi de suite. Et sur le site de voyage, on essaie de vendre des reportages en format word avec des photos. Mais là encore je deviens très vite un espèce de consultant qui fait bosser les autres et je les regarde partir quand moi, je reste à Paris. Et je me dis de plus en plus fort que ce n’est pas ce que je voulais.

Et là, je commence à réfléchir à quitter tout ça, Paris qui me pèse, le travail et retrouver le goût du voyage, de photographier, d’écrire et comment concilier tout ça. Arrêter la schizophrénie chronique.

Je décide que ce sera en solo et loin de Paris et toute son agitation. Je décide que ce sera en France aussi parce que « l’aventure commence en bas de chez soi ». Parce que c’est moins cher aussi : je prévois un budget de dix euros par jour et part pour un an. Ce sont mes dernières économies. Après, je vais toucher chemin faisant un petit héritage qui me permettra de continuer six mois de plus. Parce que j’étais encore plus lent que prévu. Et surtout, expérience oblige, je m’oblige à penser à l’après voyage. Et à savoir ce que je vais faire de ce dernier une fois que c’est terminé. Alors je bouquine, je me renseigne, j’écoute. Je veux faire un truc lent, aller à la rencontre des gens, des paysages et leur donner du temps, un peu l’anti tour du monde au fond… Pour l’après, je pense un moment à faire un web documentaire mais c’est devenu trop coûteux à produire et surtout à diffuser, bref, ce n’est plus une bonne idée quand on a pas d’argent. Alors, l’idée d’un site et d’un livre pointe le nez. Et d’une tournée de conférences où je reviendrais sur les lieux du crime, ça aussi, ça me plaisait bien. Et pour l’instant, l’expérience diagonale du vide a bien marché, presque comme prévu. Le voyage a été intense, dix huit mois de rencontres, de mal au dos, de vélo et de marche à pied, de neige et de pluie. Le retour s’est beaucoup mieux passé parce que je savais quoi faire cette fois-ci et en plus, j’y ai rencontré ma copine qui m’a accompagné un moment sur la route et qui, depuis, est toujours là. Maintenant, il y a toute une série de conférence à faire… Alors…

Brumes du Morvan

Photo Mathieu M

Alors… ?

Et bien, il me reste à essayer d’en vivre maintenant…

Parce qu’il y a d’autres projets ?

Oui, bien sûr… Ma copine vit à Rome et là, on se voit donc pas beaucoup et on a un projet de réaliser quelque chose autour de la slow food, mouvement qui a des racines profondes en Italie, qui constitue une voie qu’on trouve intéressante entre la qualité des produits qu’on consomme et la qualité de vie tout court. Il y aussi le pourtour méditerranéen où il se passe de drôles de trucs parce que les gens sont obligés de faire avec moins d’argent depuis que la crise est passée par là. Continuer la diagonale du vide aussi entre l’Allemagne et l’Espagne. Et puis comme les gens que j’ai rencontrés lors de cette traversée, arrêter la schizophrénie entre la passion et le métier, vivre peut être avec moins mais vivre bien… J’ai senti ça souvent chez eux… Des gens heureux de faire ce qu’ils font…

Et bien nous aussi, durant cette après midi passée avec Mathieu, on a bien senti quelque chose de cet ordre… Il semble bien que ce monsieur n’est pas un simple promeneur mais bien plutôt un chercheur qui marche. Parce que, au bout du compte, on a parlé avec lui, toute une après midi, de bien autre chose que de voyage mais bel et bien plutôt de philosophie dans le sens étymologique du terme – l’amour de la vie -, l’émotion ressentie devant les paysages traversés et l’éclat des rencontres faites ici où là, partout le long de cette diagonale. Mais aussi dans la manière dont Mathieu envisage son futur maintenant, de ce qu’il veut et de ce qu’il ne veut pas… D’évidence, c’est un homme en quête que j’ai croisé ce jour-là…

Et de ce point de vue, à mon humble avis, le sieur est aussi un vrai têtu et sa quête d’une autre diagonale n’est donc pas près de s’arrêter.

Je réfléchissais à ça en tous cas en rentrant chez moi, en croisant le Puy Mary, écrasé de soleil.

Mathieu, lui, était déjà en partance pour Mende, donner une autre conférence.

Pour les dates des conférences de Mat, pour acheter son livre, un livre différent des autres bouquins de voyage, un livre de rencontres et des traces qu’elles ont laissé chez Mathieu, un livre qui ressemble à son auteur au bout du compte, mais aussi pour renifler tous les voyages entrepris, petits ou grands, pour découvrir plus qu’un type qui aime voyager, une philosophie en actes, allez donc sur ces carnets à lui, sur sa page facebook, son site : https://www.lesvoyagesdemat.com/ .

le cézallier

Photo Mathieu M