La samblada : habiter en commun

Comme les humains ne peuvent décidément pas se passer les uns des autres, pour le pire et le meilleur, ils ont de tout temps considéré que le groupe offrait plus de sécurité et de bienfaits qu’il ne créait de problèmes…Bref, c’est une banalité historique de remarquer qu’on est des organismes grégaires. Fondamentalement grégaires. Au commencement, il y eu les grottes, les huttes qu’on regroupait, et puis apparurent les villages, les villes…

Soit…

Comme on n’est pas si différent de nos ancêtres, il n’est donc pas si étonnant que certains d’entre nous ( et de plus en plus, à priori) recherchent des formes d’habitat qui laissent la possibilité de la rencontre avec le voisin, le quartier et expérimentent l’art et la manière de conjuguer l’individualité et son environnement, ses finances et ses désirs, ses opinions et ses actes, son goût de l’aventure et son besoin de sécurité…

Les sembladistes...

L'entrée par l'arrière...

C’est bien sûr le cas en Auvergne comme partout ailleurs. Où prennent racine ici ou là des projets de nature différente : un du côté de Ternant, près d’Orcines, dans un parc d’une trentaine d’hectares où trône une majestueuse bâtisse de 800 mètres carrés sur trois étages avec ses dépendances, gîtes débonnaires, chambres d’hôtes charmantes et projet d’école alternative. C’est encore le cas du côté de Billom où les locaux d’une ancienne école en plein centre ville n’attendent que ses futurs propriétaires motivés par l’idée de faire vivre le lieu qui a déjà un nom : les terrasses du beffroi.. Deux projets complètement différents dans la forme mais qui ont en commun le goût des expériences avec d’autres, d’essayer de porter un art de vivre tout en minimisant les coûts par la mutualisation.

C’est également le cas dans le sein même de la bonne ville de Clermont Ferrand avec l’Enorme Alien, avec la Crouzille… Ainsi que du côté de Tremonteix. Nouveau quartier sur les hauteurs de la ville qui va nous intéresser plus particulièrement dans ses lignes. Vingt minutes de la place de Jaude. C’est ici qu’est née et grandi l’idée puis qu’a pris forme la semblada, immeuble participatif de sept familles, une vingtaine d’individus de tous les âges. Semblada pour assemblée en patois du coin. Participatif parce que le résultat final sera l’émanation des désirs des uns et des autres.

Alors, encore un truc de bobos, diront les plus sceptiques ?

Voire.. Certes, les gens qui ont fait et continuent de faire la Semblada ne sont pas pauvres. Ils ne sont pas riches non plus. Des gens ordinaires en somme. Mais qui ont fabriqué de leurs mains et de leurs esprits quelque chose qui l’est nettement moins. Ils se nomment Dominique, Fabrice, Christine, Michaëla, Brigitte, Yannick, Anne-Laure… Les enfants ne se nomment pas, eux, trop occupés à courir dans les jardins ou les uns chez les autres …

Jugez plutôt : l’idée germe quelque part autour de 2011, dans la fièvre d’une soirée aux Augustes, le bien nommé, bar de tous les possibles dans lequel, à l’ombre de la cathédrale, ça percole sévère dans la capitale arverne. Une vingtaine de famille semble intéressée. Très vite il n’en reste que quatre. Mais d’un métal résistant, rompu aux aléas. Et ça tombe bien, parce qu’il v a y en avoir des croche-pieds du destin durant les huit années suivantes où, enfin, un beau matin, il sera l’heure de poser ses pénates dans cet immeuble de trois étages enfin bel et bien là. Ecoutons Christine, une des protagonistes nous dire : « cela a été une période riche (7 années) pendant laquelle nous avons appris à nous connaître et nous apprécier. A partager nos doutes, nos réflexions, notre vision de l’avenir, notre enthousiasme, notre détermination, nos déceptions parfois ».

Il est donc là, un beau matin, sorti de nulle part. Sinon de l’imagination de tous. Parce que tous auront bien évidemment leur mot à dire. Mais il fallait d’abord trouver l’oiseau rare, celui qui saura transcrire en plan et dessins réalisables et pas trop chers un cocon qui pourrait plaire à tout un chacun tout en respectant au mieux autant de normes écologiques que possible. Ce messager des bons augures, ce sera Simon Teyssou, architecte cantalou et il n’en fallait pas moins pour s’obstiner et croire au projet, repris et repris encore pour rentrer dans les imaginaires et porte-monnaie de chacun. Au final, Fabien Damas, chargé du projet, imagine donc un immeuble BBC de trois étages, béton, bois, verre, ouverts sur un grand patio. Le tout a une forme d’iceberg. Bâti à même la colline, il semble effectivement émerger de la terre. On y accède par l’arrière et il faut descendre pour accéder aux logements réparti autour du patio. On prévoit un toit végétalisé. Chauffage collectif par granulés. Fosse de récupération d’eau de pluie sous le patio pour arroser les tomates du jardin et alimenter un jour la buanderie commune.

Au dessous : la ville

Le patio...

Au groupe d’hommes et de femmes porteurs du projet, il a fallu passer tant et tant d’obstacles. Se faire aider en premier lieu : les coups de main viendront de l’association Regain ainsi que de la structure « Habiter autrement » qui donnent les premiers conseils et facilitent les premières rencontres avec les « ayant déjà fait ». Il faut ensuite se mettre d’accord d’abord entre soi : sur le budget d’abord, sur les surfaces, sur les espaces communs, sur les matériaux utilisés ( une fois, on nous raconte que Simon Teyssou quitte une réunion de travail collectif parce que quelqu’un a jugé bon de suggérer remplacer le bois des ouvertures par du PVC, parce que c’est moins cher : horresco referens !! Quelqu’un le rattrape par la manche sur le parking et « il a bien fait », nous confie t-on, «  parce que le résultat en valait la chandelle ». …)

La maison des poules...

Ensuite, il faut évidemment trouver un terrain : « Tiens, dis un autre, il y a, du côté de Tremonteix, une parcelle disponible au milieu d’un éco-quartier, à bâtir sur une colline où, autrefois, on cultivait la vigne… ». On en profite pour aller voir d’autres aventures ailleurs, voir comment font les autres, du côté de Montpellier, à Grenoble , en Ardéche… Trouver aussi (déjà!) des sous – via une campagne Ulule : 90 donateurs, 5000 euros réunis – pour payer la première esquisse de l’architecte et aider à la création d’autres projets, via Habiter autrement Auvergne. Passer des soirées et des soirées à discuter, évaluer, mesurer, argumenter : « Ah, bien sûr qu’il a vite fallu trouver des procédures pour se mettre d’accord, argumenter plutôt qu’asséner, convaincre plutôt qu’imposer, apprendre à négocier. Avec le consensus comme mode de fonctionnement » nous narre Dominique, à l’ombre de la terrasse de son appartement, les pieds dans le jardin collectif, les tours de Notre dame de l’assomption en ligne de mire. Les futurs copropriétaires se frottent les yeux devant la première estimation en 2014 qui dépasse nettement les deux millions d’euros pour sept logements. Trop cher pour certains. On refait les calculs et « si on faisait plus de parties commune nous mêmes ». On se remet d’accord. Le consensus émerge petit à petit . Mais on n’y coupera pas, il faut quand même trouver l’argent

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Où on joue...

Où on se réunit...

Mais avant d’aller voir les banques il faut bien dire qui on est. Et ce qu’on veut. Parce que ces dernières ne le comprennent pas toujours, pas plus que beaucoup de notaires. La loi ALUR alors en discussion fournit une arme juridique : la SCIA pour société civile immobilière par attribution. En clair, vous pouvez partager votre bien en parts sociales correspondant à des lots. Ce qui permet une solidarité de jure entre habitants et facilite les passations de propriété. Et engendre au passage des économies au niveau des frais de copropriété et d’entretien des locaux. Les banques reculent quand même. En fait elles n’ont jamais vraiment avancé. Sauf une, le crédit mutuel. Qui accepte de faire une proposition en fonction de la surface et du revenu de chacun. Et accepte un système de tontine pour  les espaces communs : buanderie, salle de réunion, studio pour recevoir…

Tant et si bien qu’on se trouve,, un beau jour de 2016, devant le permis de construire posé sur la table. Et c’est le moment que choisissent deux familles pour se retirer du projet. Pour des raisons de mutation professionnelle et de bonne vieille trouille devant la montagne restant à gravir. Mais c’est tout de même l’ascenseur émotionnel garanti pour tout un chacun ! On digère donc et on cherche d’autres personnes. Montent dans le train Michel, Anne Laure, Monique. Qui veulent des aménagements différents. On reprend donc le projet. Et on se remet d’accord derechef.

Et un jour, les travaux finissent par réellement commencer. « Ce sera un enfer : les entreprises ne venaient jamais, d’autres coulent… ». Il a fallu s’improviser conducteur de travaux. Ceux ci durent plus de deux ans. Rien que l’extérieur et le gros oeuvre. En novembre 2018, certains doivent emménager quand même pour de bon, bien obligé, on a donné les avis de fin de bail. Partout, il n’y a que la terre transformée en boue par les engins de construction. Mais l’iceberg de bois et de verre est bien là, au dessus du marécage. On y campe pendant un an. La cuisinière est une gazinière de camping. Des enfants en bas âge. Le temps des travaux intérieurs. Christine vit cette période avec « excitation de voir le bâtiment monter, les appartements apparaître etc… Il a fallu être patient aussi, affronter les problèmes divers : entreprises défaillantes, longueur des travaux, problèmes techniques ». Il faut compter sus les ressources disponibles : « J’avais confiance en notre architecte et dans les membres du groupe compétents dans le domaine ». La confiance apparaît bien comme le ciment indispensable pour mener à bien le projet. C’est ce que la charte rappelle dés son préambule, comme une évidence. Mais qui peut décréter son existence ?  C’est un travail quotidien. Et cela dit sans doute toute l’importance des fêtes organisées à la moindre occasion. Les vendanges. Mais aussi la musique. Le vin et la musique. On n’invente rien à la Samblada pour réunir les hommes. Mais on est persévérant.

vendanges..

Parce qu’il faut vivre ensemble aussi. Trouver les règles de vie qui conviennent à tous. C’est le moment des questions toutes bêtes, auxquelles personne n’avait pensé : «  quand un gosse fait une connerie, qui l’engueule ? Qu’est ce qu’on fait des enfants qui passent sans arrêt d’un appartement à un autre ? Qui ramasse les légumes de celui qui est en vacances ? Qui s’occupe des poules ? Comment on organise les tours de linge ? Qui peut utiliser la salle de réunion et à quelles conditions ? Ce genre là. Très vite, une charte est établie autour des valeurs communes : citoyenneté et entraide, solidarités et écologie. Mais très vite, la crise du Covid vient tout remettre en question, question organisation collective. On décide de mutualiser les cours, les courses, les repas. « C’est à partir de là qu’on est devenus amis en fait. Avant le covid, on était un peu qu’associé. Le confinement a tout changé », nous raconte Dominique.

Beaucoup de choses partent des enfants là encore : ce sont eux qui se réunissent et disent que « ça ne leur va pas toujours, la vie commune, que les grands embêtent souvent les petits et qu’on a le droit d’être chez soi, seul, quand on en a envie … Et c’est exactement ce qu’on a essayé de faire avec notre charte. On fait plein de choses communes sans être toujours ensemble : on organise des fêtes, des apéros, des marchés nocturnes, on participe à la vie du quartier, on participe aux vendanges. C’est ce qu ‘on voudrait faire ici : être bien dans nos habitats mais rester ouvert à l’extérieur… Certains sont impliqués, élus à la municipalité, Christine est secrétaire du comité de quartier… Tout le monde est heureux de sa vie ici… ».

Au jeu des sept familles ( plus un locataire), vous avez donc aussi la carte joker au choix : le plaisir d’être ensemble ? Le pari réussi du projet commun ? la possibilité de faire vivre certaines convictions ? L’avenir encore et toujours à construire ? Des coûts attractifs aussi : 250000 euros pour un T3 de 80 mètres carrés, 1700 euros de charges annuelles communes par foyer de quatre personnes comprenant eau, électricité ( enercoop évidemment) et chauffage ? Dans Clermont, où on est plutôt autour de 3500 le mètre carré, c’est plus que compétitif et même davantage… Des regrets aussi : si la mixité générationnelle est bel et bien assurée, ce n’est pour l’instant pas le cas de la mixité sociale. Les règles d’airain de la sélection sociale n’ont pas pu ici être (encore) contrecarrées, tout le monde n’ayant pas les moyens de devenir propriétaires ( même à moindre coût) en centre ville. C’est certainement quelque chose qui reste à penser dans ce type de projet, à la Semblada comme ailleurs.

Témoin du succès de l’opération, à la Semblada, ils ont aussi été obligé de mettre en place une procédure d’accueil pour répondre aux questions de tous les curieux du projet et les éventuelles visites à organiser. Chacun s’y colle à tour de rôle. Et c’est sûrement le meilleur plébiscite possible de l’intérêt suscité par l’expérience…Et donc du chemin parcouru depuis cette soirée de 2011 aux Augustes… Qui aurait pu imaginer alors toute cette histoire ?

Bibliographie :

Site Habiter autrement : https://sites.google.com/view/habiterautrementauvergne; Pour une présentation des projets menés en Auvergne.

Blog la Semblada : http://lasemblada.blogspot.com/

Site Habitat participatif : https://www.habitatparticipatif-france.fr/?AccueilHPF. Pour élargir la focale.

Un témoignage : «  Commun village, 40 ans d’aventures en habitat participatif », Editions Repas, 2016.

Revue Kaizen, num.special 2015 : « Oasis : un nouveau mode vie – autonomie, partage, convivialité.

Les publications livresques et numérique de l’association Eco Habitat groupé et notamment : « Voyage en terre méconnue : 40 années d’habitats groupés » et « l’abécédaire de l’habitat participatif ». A voir sur le site : http://www.ecohabitatgroupe.fr/

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