Les Nicolaï : une histoire des bords du lot

Elle, c’est Clémence. Elle élève des chèvres et fait des fromages qui font danser les papilles. Lui, c’est Laurent ; Il fait des dessins sur des pierres ou des plaques de cuivre qu’il imprime sur papier. Des blocs d’émotion qui réjouissent les pupilles. Eux, ce sont les Nicolaï. Voilà un peu de leur histoire : une histoire des bords du lot, l’histoire d’une quête de dix ans. Ca se passe au Pauzat, prés de Vieillevie, aux confins du Cantal, du lot et de l’Aveyron. Ils ont fondé là une famille. Et sans doute bien autre chose. On vous raconte.

Liverpool

A l'atelier du pauzat

Je ne sais plus qui a dit qu’il n’était pas si opportun de chercher le chemin du bonheur parce que le chemin, c’est le bonheur justement. Je ne sais plus qui était-ce, mais certainement pas un imbécile.

Alors, je ne sais pas pourquoi mais j’ai souvent pensé à cette phrase en écoutant Clémence et Laurent me raconter leur entreprise et leurs vies depuis une dizaine d’années qu’ils ont posé leurs valises en cette vallée du lot, prés du lieu nommé Vieillevie, dont l’étymologie à elle seule – qui signifie vieille voie – peut laisser songeur. Me raconter leur quotidien, ne pas taire les difficultés mais sans s’appesantir, me laisser imaginer leur histoire en livrant quelques bribes de ci, de là…

Alors, ce qu’on va vous raconter ici, c’est une belle aventure sans doute. Vous jugerez. Mais c’est d’abord, me semble t-il, l’histoire de deux quêtes obstinées qui se confortent l’une l’autre pour s’inventer un chemin, quelque chose à part, à suivre une « vieille voie » entre fromage de chèvre et estampe – autant de pratiques ancestrales donc – et qui aurait revêtu, ici et maintenant, les oripeaux d’une quotidienne volonté de construire, de suivre son destin, de concilier une vie d’artiste avec celle de l’exploitation d’une ferme. Moderne donc cette quête ? Peut être… En tous cas, des choix ont été fait ici. Et continuent d’être fait chaque jour. De ceux qui engagent un homme ou une femme tout entier. Des arbitrages souvent pas si faciles entre les nécessités de la création artistique, les aléas des circuits commerciaux de l’agriculture biologique, la vie de famille… On en passe…

Alors joli pied de nez de l’histoire ? Voire…

Donc ils m’accueillent ce matin là, au lieu-dit Le Pauzat, le Lot en dessous de nous, tout encombré des boues marrons des pluies de la veille, et de l’avant veille, et de… – c’était quand le soleil déjà ?… qui serpente dans son écrin de marronniers et de chênes. Le café a tôt fait de fumer.

Alors, il y a la vieille grange restaurée en lieu d’habitation, de pierre épaisse, de métal et de bois, une route qui se transforme en chemin et qui accède à un cul de sac – « on voulait un endroit isolé » , et bien c’est réussi ! – deux chiens débonnaires, Quick et Fliupke, des jouets ( vélos, balançoire…) pour amuser Rosalie, Esther et la petite Iréne, les trois filles de 2 à 8 ans, occupent une bonne partie de l’espace extérieur. Tout autour la forêt. Où paissent la trentaine de chèvres et l’impavide Liverpool, ci-devant bouc de son état et néanmoins un brin cabochard, ses origines anglaises sans doute… Et puis en contrebas un bâtiment neuf qui abrite animaux et fromagerie au nord et atelier au sud. Vue imprenable sur la vallée du Lot. De l’espace. De grandes ouvertures. C’est là que les deux acolytes travaillent.

Parce que, quand même, il nous faut pousser plus avant les présentations.

La famille Nicolaï donc…

Alors il y a elle. Clémence, née en Bourgogne il y un peu plus d’une trentaine d’années, passionnée de cinéma depuis toute petite, qui donc, un beau jour, « monte » à Paris, s’inscrit naturellement en fac de cinéma, obtient un master, se confronte à ce monde là qui la déçoit – «  il a fallu que je quitte ce rêve, c’était pas pas fait pour moi ». Et décide de tout balancer par la fenêtre. Changer de trajectoire. A l’age des catherinettes. Pour se retrouver dans l’Aveyron. Nouveau monde. Lycée agricole de St Affrique. Passer le brevet professionnel de gestion d’une entreprise agricole (l’indispensable BP REA). Et enchaîner les expériences dans les fermes aveyronnaises ou gardoises ( St Affrique, Le Vigan, St Hyppolite du fort…). : « Pendant quatre ans, j’ai multiplié les expériences dans différentes exploitations, j’ai même été salariée d’une ferme de 600 chèvres ! Je voulais voir… Mais c’est dans une autre de soixante-dix que je me suis dit que c’est ce que je voulais faire…On peut dire que j’ai été initiée ici »

Et puis un jour… Laurent…

Parce qu’ il y a lui aussi… Laurent donc … Une autre trajectoire… De l’autre côté de la France. Il naît à Nice, mais vécut à Arles et Marseille.. Bref, un enfant du sud… de la Méditerranée, du soleil… Pas un obsédé de l’école mais assez quand même pour obtenir un Bac L option arts – « sinon je l’aurais jamais eu, ce bachot ! » – et qui s’inscrit aux beaux arts. Où il va découvrir l’art de la gravure. « Un jour, raconte t-il, mon instit a dit à mon père que j’avais une vocation artistique ». Et bien on peut dire qu’il ne s’est pas trompé celui là. Parce que pour une tendance, c’en est une !! Dont Laurent n’a jamais dévié. Ou presque. Il a quand même fallu qu’à un moment, il reprenne une librairie marseillaise qui faisait aussi restaurant et qui appartenait à son père, brutalement décédé. Mais le démon de l’art était toujours là. Et bien là. La librairie périclite. Un jour, il décide – lui aussi ! – de bifurquer, passer par la fenêtre et de partir. Ce sera Madagascar. «  J’y vais avec l’intention de faire un dessin par jour, de me constituer des carnets de travail. Il fallait qu’il y ait de la création dans ma vie, j’en étais sûr maintenant… Après être rentré, je me suis retiré progressivement, de la grande ville, de l’agitation, du commerce, de la foule, du bruit… J’avais besoin de me retrouver… Ce sera les Cévennes, une petite location, j’ai mes carnets, je commence à faire des expositions… J’enchaîne des petits boulots, de maçon notamment. » Ca lui sera bien utile mais il ne le savait pas encore…

Et puis un jour…

Les deux trajectoires se rencontrent.

Ami d’ami, une soirée cévenole et…

Et puis alors un autre jour… Il faut les imaginer quelque part. – ceux qui s’aiment font toujours des projets, c’est même à ça qu’on les reconnaît comme disait l’autre en parlant d’autre chose – : il y a là une plage et sur le sable, ils dessinent, grandeur nature, un projet, une maison, un bâtiment. Et tout est déjà là : la chèvrerie, l’atelier, la maison pour les enfants… Et alors, on cherche un lieu et on finit par le trouver. «  On voulait de l’espace, de la lumière, une belle vue… On a cherché, cherché… depuis le Vercors jusqu’en Ariège ». Ils finissent par trouver. Ce sera Vieillevie, lieu-dit Le Pauzat : «  ça s’appelait comme ça, ici, c’est le nom de la grange. Et nous, on trouvait qu’il y avait quelque chose qui correspondait à ce qu’on voulait faire. Pauzat, c’est là où les chèvres se posent, peuvent se reposer. On ne se définit pas comme des exploitants agricoles. On n’aime pas le mot exploiter.  Alors, ça a collé tout de suite ici, on a su que c’était là… ». Le terrain de près de vingt hectares de forêt, la grange qui menace ruine le long de la route, voisinage peu encombrant… Le coin qu’ils jugent idéal pour élever un troupeau et être tranquille… Un endroit pas cher : en langage agricole, les parties boisées, ça vaut pas grand-chose…

Alors après ? Et bien après bon sang «  on avait peur de rien .. On a foncé, on fait deux voyages depuis les Cévennes, un pour les habits, l’autre pour les outils.. On s’est posé là… la SAFER nous a bien aidé, on avait un petit pécule et la banque nous a suivi : faut dire qu’on leur demandait l’équivalent du prix habituel d’un tracteur pour l’ensemble du projet ! ». On est en 2009. Il faut rénover la grange et construire un bâtiment pour les chèvres et l’atelier de Laurent.

« Le chantier démarre au printemps 2009. Pour la maison, on fait au minima, amener l’eau, l’électricité… Et au printemps 2010, on habite ici. A l’hiver 2010, on construit le bâtiment. Et au mois de mars, on achète les premières chèvres. ». Au même moment naît la première des filles. Il leur faut donc vivre aussi : Laurent travaille dans un restaurant de la vallée. Et quand il n’est pas au restaurant, il est derrière la bétonnière au Pauzat et exploite ses compétences de maçon acquises au gré de ses pérégrinations. Le couple ne tait pas les difficultés, bien sûr que c’était dur, mais « on avait peur de rien ». Il le fallait. Parce qu’ensuite, il a fallu aussi poser les fils tout autour de la propriété. Dans un terrain escarpé, rocheux. Voyez le genre…

Chez Clemence

Il y a aussi les déconvenues. Comme dans tout projet.. Il faut les raconter aussi parce qu’on n’est pas dans un conte de fées : les choses ne se passent pas souvent comme on avait prévu… C’est comme ça…

Ainsi, pour la partie de Clemence, les marchés de la région ne sont pas une manne suffisamment rémunératrice, celui d’Aurillac s’avère difficile à intégrer, celui de Rodez est trop loin, celui de Maurs trop petit… Mais en 2013, nos deux artistes intègrent le réseau de l’amap d’Aurillac, ce qui assure des revenus plus réguliers mais nécessite un passage de l’exploitation en bio, qui n’était pas bien compliqué car ils en étaient déjà très proches, il a juste fallu trouver du foin sans traitement pour l’hiver. Et puis il y les fromageries… Quatre à Aurillac, l’épicerie de Vieillevie. Mais ce n’est pas assez… Clémence cherche d’autres solutions. Dans les circuits courts. Elle ne veut pas avoir à faire avec la grande distribution. Ou le moins possible. Comment dire ? Je crois qu’elle aime son produit, ça se voit quand on la regarde plier ses fromages pour les vendre, la façon dont elle s’applique pour les empaqueter et pour elle, certaines choses  ne sont pas compatibles – « mais ils ne regardent même pas ton produit ! »… Ca se sent surtout aussi avec le goût de ses fromages. Ils comptent tout bonnement parmi les meilleurs qu’il m’ait été donné de goûter de par le vaste monde. Mais comme vous n’êtes pas obligés de me croire, il vous aussi savoir que quelqu’un comme Michel Bras a décidé de les présenter sur son plateau de fromage dans son restaurant aux trois étoiles de Laguiole. Et je crois que c’est quelqu’un qui s’y connaît un peu en matière de goût, non ? Ben oui, les chèvres mangent dehors la majeure partie de l’année, ne reçoivent pas de traitement autre que des huiles essentielles, ne connaissent pas le stress, vivant entourées de bienveillance et de soins, alors le goût de leur lait est unique et donc les fromages aussi. C’est aussi simple que cela . La trentaine de chèvres donnent à peu près quarante litres de lait chaque jour en période de lactation, ce qui permet de faire quelques quatre vingt fromages après douze jours d’affinage. En plus maintenant, les deux acolytes font des pâtes fraîches… Qu’on vous recommande aussi… Mais on ne les trouve pour l’instant qu’à l’amap d’Aurillac le mercredi soir. Fraîcheur oblige justement.

Regardons du côté de Laurent, face sud de l’atelier donc, il n’y a qu’un mur qui sépare les deux espaces et on a vite fait de passer de l’un à l’autre, comme si l’un était l’extension de l’autre, deux univers distincts mais inséparables. En pénétrant dans les lieux, on a d’emblée une impression étrange en pénétrant dans l’antre. Une drôle d’expérience en vérité. Comme si le travail, le labeur obstiné, saison après saison, suintait encore des murs. C’est donc là, l’ADN, l’Atelier D’estampe Nicolaï, dûment inauguré au printemps 2013. D’abord des machines d’impression : il y en a quatre ou cinq qui découpent l’espace, qui entourent un espace cuisine où ronronne la cafetière, un coin d’eau, de grandes baies vitrées, des bouteilles partout d’à peu près tout ce qui constitue un liquide – huiles, térébenthine, essence, encres, eau, peintures, vernis – et au-dessus de tout ça, en mezzanine, une immense bibliothèque, une chambre et une grande pièce de travail. Une lumière blanche accueille le regard…

C’est donc là que Laurent conçoit, pense et met en forme ces lithographies et estampes. C’est là aussi qu’il organise ses résidences d’artistes, tout est donc prévu pour les recevoir au mieux. D’où la chambre spacieuse de la mezzanine, la salle de bain, il a fallu penser aussi à un mode de chauffage… Plus que de résidences d’artistes stricto sensu, il s’agit d’ailleurs plutôt, dans son esprit, de se mettre au service d’une volonté et d’accompagner l’émergence d’une production particulière parce que  » des fois il se passe quelque chose, d’autre fois je suis plus exécutant, mais c’est toujours au service de quelqu’un d’autre« . Il y a eu là l’illustratrice belge Ingrid Godon, Tim Dalton du théâtre Beliâshe. Avec lui, est d’ailleurs en cours la réalisation d’un ouvrage de grand format, tiré à cinquante exemplaires, avec texte en typo et gravure sur cuivre et lithographies, travail déjà présenté lors du salon du livre d’artiste de Rodez à l’automne 2017. Au total « une dizaine d’artistes venus à l’atelier soit pour une grande gravure, pour s’initier ou pour réaliser une affiche pour une expo ». Parce qu’une partie du savoir-faire de Laurent réside dans la mise en forme. Il maîtrise l’art de la lithographie, mais aussi celui de l’imprimerie et de la gravure, tout ce qui est nécessaire en somme pour réaliser des ouvrages de présentation de tel ou tel artiste, autrement dit tout ce qui a trait à de l’imprimerie d’art. Ce savoir-faire, en tant que tel, a d’ailleurs fait l’objet d’un cycle de conférences donné au musée Soulages de Rodez. Onze conférences. Comme au football.

Du côté de chez Laurent...

Mais Laurent est aussi un créateur qui a sa propre production qu’il donne à voir régulièrement lors d’expositions comme celle de Lodève en septembre 2017, Montsalvy aussi, au réfectoire des moines l’été dernier. Comme celle qui a lieu à Maurs en ce mois de juin à l’Epicerie, espace dédié à l’art visuel, à Maurs. Mais aussi le H20 à Entraygues sur Truyère. La Fabrik à Aurillac et l’auberge du Fel reçoit aussi au printemps 2015 le résultat d’une collaboration avec une céramiste, Perrine Léger. Ses gravures sont exposées aussi dans la brasserie de Michel Bras au sein du musée Soulages de Rodez.

A l’heure de la numérisation, Laurent a choisi délibérément le manuel, le frottement avec la matière première, le papier, la pierre, le cuivre, le bois, les énormes machines d’impression, les liquides de nettoyage, les encres… Pourquoi ? Parce que… C’est lui qui le dit : il a besoin du contact physique avec la matière pour donner forme au tumulte du monde qu’il reçoit, perçoit, ressens dans ses fibres profondes, au tréfonds, tout là bas. Pourquoi ? Parce que…

C’est ainsi. C’est tout. Juste qu’il nous précise, au détour d’une phrase, que «  moi, j’ai que mes mains… ».

Et tout est dit…

l'atelier 6026 cm²

Alors, il a fallu aussi trouver un espace pour accueillir les deux dernières presses, deux mastodontes de huit tonnes chacune, la muro et la 6026… De chez Morinoni-Voirin. Récupérées dans des conditions rocambolesques à Toulouse et en Ile de France pour pas trop cher dans un cas ( mais les dernières économies y passent quand même), par souscription express pour l’autre ( 8000 euros récoltés en mois d’un mois, 115 souscripteurs de par le vaste monde). Leur transport est une histoire en soi : imaginez de devoir déplacer l’équivalent de deux pianos en longueur avec le poids de quatre voitures ! On peut pas trop démonter : pas sûr de pouvoir remonter : ce sont des bébêtes qui datent quand même du début du vingtième siècle. L’atelier du Pauzat est trop petit… Et là, la mairie de Flagnac, petit village au fond de la vallée du lot, à quelques kilomètres, propose un lieu, un hangar d’une ancienne menuiserie, qu’il viabilise ( eau, électricité…) et met à la location pour deux centaines d’euros par mois. Une association est créée pour bénéficier des possibilités qu’offre le nouvel atelier. Association qui périclitera et dont il reste la présence d’André Stengele, un graveur belge d’une soixantaine d’années installé dans le coin.

Un atelier, il lui faut un nom : ce sera l’atelier 6026 cm². Parce la plus grande pierre disponible pour la lithographie dans cet atelier fait cette superficie.

Pour les aspects techniques proprement dits, je n’ai pas les compétences pour vous expliquer en détail mais je vous laisse approfondir cet aspect des choses sur le site du sieur NicolaÏ ( dont je donne les références en fin d’article) et qui sera bien meilleur que moi pour ce faire. Comprenez quand même tout de suite qu’une estampe est une image imprimée sur une feuille de papier au moyen d’une presse mécanique manuelle, à partir d’une matrice réalisé par l’artiste, que la lithographie utilise des moyens chimiques pour fixer l’encre sur la pierre, bref qu’il s’agit de travailler une matière – cuivre, bois, pierre. – et, en creux ou en relief, utiliser de l’encre et puis presser le tout sur du papier et vous avez une gravure, une estampe… que vous pouvez reproduire à l’envie…

Avec André Stengele...

Alors, au bout du compte, step by step dirait Liverpool, les deux amoureux des bords du lot ont bel et bien fini par créer, de leurs mains et de leur sueur, à force de journées de labeur et de nuits fébriles, rendu palpable, pierre après pierre, le futur qu’ils s’étaient dessiné sur le sable en cette année 2008. Dix ans donc. Le temps de fonder une famille, de poursuivre une vision. Le temps de laisser le rêve prendre racine. Alors, jamais il ne nous ont dit que c’était facile, et comme ce sont des gens pudiques, jamais non plus ils ne nous ont dit que c’était difficile. Mais ils n’ont pas tu les difficultés : oui, on a pas toujours envie de s’occuper, tous les matins, d’un troupeau de quarante chèvres et d’un bouc anglais, oui, c’est contraignant quand on voudrait passer plus de temps avec les filles, s’occuper d’elles davantage, des envies de voyage, oui, c’est une responsabilité qui ne vous laisse plus l’esprit tranquille. Oui encore, l’estampe ne se vend pas toujours si bien que cela, oui, il faut batailler et ne pas lâcher prise, oui il faut se vendre un petit peu même si on ne sait pas le faire, oui on a du mal à payer le loyer de l’atelier 6026 cm², même modique, même si on l’utilise finalement peu de temps dans l’année, les presses ne peuvent pas fonctionner par grand froid. Rien n’est tu. Rien n’est vraiment dit non plus. Gens pudiques, qu’on vous dit. Il faut deviner. Deviner les joies secrètes devant les estomacs cajolés, les compliments adressés, les yeux emplies de gourmandises ; qui pourra dire ce contentement intérieur quand on arrive à transcrire ce qu’on a tout au fond de soi et de le voir là, peut être, devant soi, sur ce bout de papier, exposé au regard de l’autre ? Deviner et prendre la mesure des difficultés parce que ce n’est pas un chemin facile. Pour les deux, bien sûr qu’il y a des matins de brume, des dimanches de pluie où on se rend compte que telle exposition n’est pas si « vendeuse », que les économies s’en sont allées, qu’à quoi bon tout ça peut être, qu’on se demande pourquoi les chèvres sont aussi peu subventionnées, que la production bio est bien exigeante…

Alors, les deux là, qui dessinent sur le sable… il faut aller leur dire que leur fromage est un des meilleurs qu’on ait goûté, allez l’acheter – en plus il est pas cher ! – en fromage blanc ou en crottin, que les pâtes fraîches sont exquises, bien meilleures en tous cas que toute la production de Barilla ou de Panzani réunies, c’est tout bonnement pas le même monde, on peut pas le dire autrement ! ; il faut aller voir le travail de Laurent dés qu’on en a l’occasion, parce que vous ne verrez l’équivalent nulle part ailleurs et à lui aussi, lui dire que tel bleu vous touche, dire vos émotions devant ses nus…. Parce que ça aussi, ça nourrit quelqu’un…

Il faut rendre hommage à toute cette quête obstinée, quotidienne, d’authenticité qu’il y a derrière ce que vous irez manger ou regarder. Rendre hommage au respect qu’il y a derrière ce qu’ils fabriquent ici…Questionner son for intérieur et se demander si c’est ça la plénitude. Et puis se dire qu’on sait pas, comme tout un chacun sans doute, mais que, peut être, ces deux-là l’ont touché du doigt. En tous cas qu’on l’espère.

Allez ! Allez réjouir les papilles, les pupilles… Et puis l’âme toute entière peut être…

Allez savoir…

Pour les aspects techniques de l’imprimerie et de l’estampe,  pour aller plus loin dans la découverte de l’univers de Laurent Nicolaï : voici son site : http//laurentnicolaï.com

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