"C'est par la culture qu'il faut tirer par le haut..."

Ca va peut être paraître incongru, mais tant pis, il faut raconter quand même. Une impression qui est là. Et bien oui, il me semble tout de suite, la première fois où je me rends sur les lieux, que j’emprunte cette petite route qui s’élève vers le ciel, (oui, il faut s’élever pour aller là bas) qu’il y a décidément quelque chose d’africain dans le projet de la ferme de Trielle. Quelque chose dans l’air. Dans les lieux. Quelque chose qui se sent. Un je ne sais quoi qui vient à l’improviste. Et qui ne vous lâche plus.

Peut être est-ce l’effet des deux magnifiques sycomores protégeant de leurs ombres centenaires une terrasse construite au dessus du vide et surplombant la vallée de la Cére et Thiezac juste en dessous, à des années lumière ? On croit pouvoir y toucher du doigt le Plomb du cantal juste en face, on se jure d’ailleurs ce matin là, un matin tout bleu, au sortir du dernier virage en surplomb de la ferme, que celui ci a des airs du kilimandjaro.

Peut être aussi l’hospitalité et ses lois, qualités dont on gratifie souvent le continent outre méditerranéen, imprègnent-elles les lieux, l’atmosphère autour ? Ce serait quelque part dans l’air alors, dans la façon dont le coin s’est apprêté pour recevoir, les pelouses bien tondues, l’onde de la piscine qui vous tend les bras en ce matin de canicule, ou alors dans les caravanes et les tentes dressées un peu partout, au petit bonheur parce que le tango a pris ses quartiers pour toute la semaine ; dans la route d’accès aussi qui tient un peu de la piste de brousse parfois, le goudron en plus quand même… Un esprit en somme qui veillerait sur les lieux… On sent ou on sent pas, c’est comme ça… Même pas la peine d’en dire davantage… Allez plutôt voir par vous même tiens… 


Et puis ben sûr, par dessus tout,  il y a surtout les gens bon sang ! Et d’abord ceux qui peuplent les lieux. Qui les font vivre. Et comment ! Peut être y a t-il aussi la personnalité et la faconde de Jacques Lours ou même son physique imposant, un peu rude, un physique de paysan cantalou dont on forge par ici des rugbyman redoutés depuis la nuit des temps ? 
Un physique qui pourrait très bien être un de ceux qui ont découvert le continent africain dans ses profondeurs, en ont remonté les fleuves, parcouru les forêts, un de ces explorateurs risque-tout, large d’épaules, regard clair et front buriné…

Peut être encore n’a t-on pas trop à forcer l’imagination pour les voir, avec Marie, sa compagne, en train de cultiver des terres inhospitalières au début du vingtième siècle sur les bords du Congo. Pourquoi a t-on ainsi pensé tout de suite au livre de Karen Blixen : « La ferme africaine» ? Une autre histoire de persévérance. Obstinée et un peu folle là aussi.  A eux deux, Jacques et Marie, pourquoi est-on aussi certain qu’ils auraient eu la force et la patience de cultiver l’improbable, de rendre féconde la plus ingrate des contrées… ?

Peut être encore parce qu’en arrivant au bout de la minuscule route qui mène ici, on comprend tout de suite qu’un énorme travail a été réalisé ici tout au long des trente dernières années. Un travail qui demande toutes ces qualités. Et bien d’autres… Des qualités de défricheur. De bâtisseur. De pionniers. Et qu’on soit sur les bords du Zambèze ou de la Cére ne change pas grand chose à l’affaire au fond. Il est aussi question du même esprit d’aventure, de sueur, de foi, d’un peu d’inconscience aussi sans doute…

"Alors, oui, il a fallu batailler..."
J. Lours


Car il a fallu batailler,
 – ah ça oui ! -, du début jusqu’à aujourd’hui encore. Pour une constante, on peut dire que c’en est une. On peut d’abord facilement s’en persuader en essayant d’imaginer comment d’une guimbarde qui menaçait ruine, on a maintenant devant nous, trente années après, une espèce de rolls-royce qui fonctionne prés de 8 mois par an, 4500 nuitées, qui génère pas loin de 600 000 euros de chiffre d’affaires annuels, fonctionne avec 3 équivalents temps plein, une dizaine de saisonniers. Mais aussi et sans doute surtout de l’investissement, silencieux autant qu’opiniâtre de tant et tant de bonnes volontés tout au long de ces trente ans qui font l’histoire de ce lieu. Depuis ceux qui en ont amené chaque pierre jusqu’à ceux qui en ont imaginé les possibilités de réalisation financière en passant par ceux qui rendent possible les rencontres avec les artistes. Et tous les autres, tous ceux qui n’ont jamais demandé de rémunérations. Tous ceux qui font tourner et rendent possible ce type de projet, partout à travers le vaste monde. Bientôt, on oubliera leur nom et ils n’en ont sans doute que faire : travaillent pas pour la postérité de toute façon… Mais sans eux… ?

Parce que, tout de même, faut se rendre compte de ce qui a été construit là. Voir d’où on est parti. Voir où est-on arrivé. Se représenter ça.  Bien soupeser ce que ça veut dire, ce que ça a voulu dire. ce que ça va continuer à vouloir dire. S’imaginer aussi que cette drôle d’entreprise tient désormais tout à la fois de l’accueil en gîte classique ( près de soixante lits au total dans des chambres, studios et appartements de deux à six lits), du centre de formation artistique avec des stages organisés avec des pointures internationales chacun dans leur domaine – des artistes de la gamme de la danseuse chorégraphe Elsa Wolliaston ou encore Fédérico Rogriguez Moreno et Catherine Barbessou pour le tango, des mimes, de la musique, des écoles de photographie…- ; la liste est longue des artistes venus faire partager leur maîtrise à Trielle. Le tout sous la houlette aussi exigeante que bienveillante de Claire Heggen et Yves Marc du théâtre du mouvement. Trielle, c’est tout ça à la fois et c’est aussi un centre d’accueil agréé par l’Education Nationale pour des projets pédagogiques scolaires des écoles du cantal mais aussi les autres ; on y voit des séminaires s’y tenir, des mariages aussi … 

Voilà, Trielle, d’hier à aujourd’hui. Il a fallu tout créer. Inventer un autre possible.

 Partir de zéro.

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Batailler donc. Toujours. Ca a commencé tout de suite. D’abord pour construire le bâti lui même. Car, on a du mal à l’imaginer maintenant, au vu des travaux finis, et des magnifiques bâtiments en pierre rose, grange restaurée et transformée en moderne espace de verre, de bois  et de minéral, mais il n’y avait ici au début des années soixante dix qu’une vieille ferme qui donnait tous les signes de la décrépitude et de l’abandon. Des photos témoignent des lieux avant transformation. Et c’est assez saisissant croyez moi… Trielle n’était plus qu’un amas de pierres gisantes… Une ferme comme tant d’autres par ici abandonnée là sur les bords de la marche du monde…

Un peu plus haut, témoigne aussi des efforts réalisés, un immense gîte, de construction plus récente, de prés de quarante lits, qui surplombe la piscine. Alors, il a fallu des sous bien sûr, prés de 800 000 euros au total, emprunter, demander, taper à toutes les portes qu’on trouve devant soi, rester parfois le nez planté contre le chambranle, d’autres où on a plus de chances, gager ses biens, se mettre à plusieurs quand il a fallu, tout au long des années, et construire. Construire seul, ou construire à plusieurs, mobiliser entreprises locales, chantiers de jeunesse, et même créer des entreprises d’insertion et donc, partant, se fabriquer soi même comme formateur, apprendre sur le tas, le plus souvent. Et surtout, parier sur l’avenir. Y croire.

M

ais il a fallu aussi batailler contre les hommes. Leur indifférence, l’incompréhension de beaucoup ou même leur animosité parfois. Ainsi, Jacques Lours perdit-il des élections municipales à Thiezac, puis les regagnât, dans les années quatre vingt. Ainsi encore fut-il l’objet de dénigrements et de rumeurs nauséabondes. Ainsi toujours, il estime, pour le regretter, que son travail est davantage reconnu sur le plan national et international qu’au niveau local. Un peu de frilosité.

      Un peu de manque d’imagination aussi peut être… Manque d’intérêt ? Absence de vision ? Manque de communication ? Un peu de tout ça peut être. Qui peut savoir ? Toujours est-il que souvent «  on se sent seul » comme il nous l’explique en nous faisant découvrir les nombreuses chambres de l’habitation principale. «  Ca a toujours été une lutte ici. Une lutte permanente. Depuis le début. Pour imposer ses idées. Ca n’a pas été un lit de rose… ».

Parfois, les propos de Jacques tiennent un peu du dépit amoureux. C’est souvent comme ça avec les gens ardents.  Parce qu’ils espèrent beaucoup sans doute. Parce que faut dire aussi que, par dessus tout, Jacques est un homme qui croit dur comme fer à son territoire. Un territoire qu’il connaît bien d’abord. Ses parents lui ont légué une ferme quelques arpents de terre plus bas, une ferme qu’il a longtemps exploitée : «  Mais c’était beaucoup moins grand que Trielle. Trielle, c’était la plus belle ferme du coin ». Un territoire qu’il voudrait voir mieux profiter de ses idées en matière de développement et du rôle que peut y jouer la culture. Parce que «  Moi, au départ, j’y connais rien à la culture. J’y connais toujours rien d’ailleurs. Mais je me suis vite rendu compte que ça pouvait être une sacré chance pour nos terres. Les gens qui viennent d’ailleurs trouvent souvent le coin très beau. Et souvent, ils aiment y revenir … »

" Heureusement, on a des amis aussi..."
J .Lours.

Batailler encore. Convaincre toujours. Pour trouver les fonds aussi. Ceux nécessaires à l’édification des murs, on l’a vu. Et puis encore après au fonctionnement quotidien. Comme une course qui n’a pas de ligne d’arrivée. Car évidemment l’accueil d’autant de gens ne s’improvise pas. Il faut prévoir, anticiper, gérer les mous et les pleins du planning, et même le trop plein parfois, cuisiner ( de bons produits locaux en priorité, ça va de soi), servir, acheter, laver, récurer, réparer etc etc… 

Heureusement, dans une bataille il y a des adversaires, des contraintes bien sûr, mais aussi souvent des alliés. Car Trielle, c’est aussi ça. « On a su trouver des soutiens. Heureusement, on a des amis aussi « . Nombreux. Qui sont partout. Fidéles. Depuis le commencement. 

        Ici, c’est sans doute le président de l’association de la ferme de Trielle depuis trois décennies et qui donc a tout connu de l’aventure, Bernard Proult, rencontré dans le jardin verdoyant de sa maison sise à Vezac, ancien directeur du VVF du Lioran, qui nous raconte le mieux l’épopée. «  En fait, Trielle, au départ, c’est la rencontre de trois volontés, celle de Jacques Lours d’abord qui veut faire des choses pour son territoire, qui a cet espèce de feu en lui ; celle de Mme Canis ensuite, maire du village de Thiezac qui aime la culture et les artistes ; et enfin celle Yves Marc qui anime une compagnie de théâtre à Paris mais dont la famille possède une résidence secondaire à Thiezac. Voilà, ça, c’est le cocktail de départ. Ces trois là se rencontrent au milieu des années soixante-dix et créent l’association culturelle de la haute vallée de la Cère et… ».

Ainsi commence donc quelque chose qui va, de fil en aiguille, les réseaux des uns et des autres se mobilisant, aboutir à ce qu’est Trielle aujourd’hui.

        Ainsi, Yves Marc, associé à Claire Heggen, met progressivement en alerte son carnet d’adresses dans les milieux artistiques nationaux et internationaux.

       Ainsi toujours, la maire de Thiézac, Mme Canis, soutient-elle les débuts des activités de l’association et l’organisation des premiers stages et rencontres artistiques. Ainsi, propriétaire des lieux, laissera t-elle à disposition, un peu plus tard, la vieille bâtisse à l’association, à charge pour elle de la restaurer et l’entretenir.

      Ainsi encore, Jacques et puis très vite Marie y consacrent tout leur temps et leur énergie. C’est le temps où Jacques abandonne son travail à la ferme, ne pouvant plus concilier les deux activités. Au début, on organise les stages de danse et de théâtre dans l’ancienne école du village, on loge au camping ou où on peut. C’est l’été donc où on peut recevoir.  On essuie les plâtres en quelque sorte. Avec cette idée très fortement mise en avant de s’appuyer sur la culture pour amener du développement local.

        Ainsi alors, les choses se mettent en place et à un moment il y a l’opportunité Trielle. La possibilité de construire un outil pour accueillir les rencontres autour des arts entre des professionnels et un public. Tout au long de l’année. Ou presque.

" Au départ, Trielle, c'est la rencontre de trois volontés"

B.Proult

Une autre aventure commence donc à ce moment là, au début des années quatre vingt. Il faut rénover certes, mais pas n’importe comment. Jacques veut des pierres du pays. Pour honorer l’esprit des lieux : Trielle n’est pas n’importe quelle ferme, il faut donc la respecter ! Il en trouve. Dans un ancien buron, pas loin de l’Elancèze, une pierre rose avec laquelle on agrandit l’habitation originelle. On construit des terrasses de chaque côté de la petite route pour mieux profiter de l’impressionnante vue sur la vallée de la Cére et de la ligne de crêtes au dessus de Niervéze.


Un peu plus tard, en 1992, une grande bâtisse en surplomb de la ferme voit le jour, avec de nombreuses chambres, on y ajoute bientôt une piscine ( le matériel est en partie payée par la mairie, le reste et les travaux réalisés par l’association). Les administrateurs se portent garants, sur leur fonds propres, des emprunts réalisés. On lance des appels d’offre. Les choses s’accélérent, changent de forme. Faut gérer les entreprises, les chantiers d’insertion, les chantiers de jeunesse qui se succèdent sur le site.

C‘est le temps où J. Lours s’invente une vocation de chef de chantier, de chef d’entreprise en même temps que la casquette de formateur via la création de l’entreprise d’insertion qui emploiera prés de quarante personnes au final. Il avait même imaginé de pérenniser la structure et de s’occuper des aménagements des rives de multiples cours d’eau qui entoure la ferme dans la vallée, de l’entretien des nombreuses résidences secondaires dans les environs. Mais ça n’a pas pu se faire. A son grand regret.

La recherche de financement devient quasiment un travail à plein temps, un sacerdoce quotidien. On passe des conventions avec les services culturels de l’Etat, la région, les services du conseil général. Des réseaux sont activés, ceux des chantiers de jeunesse, ceux des services locaux de l’Etat…. Le projet se construit petit à petit. Opiniâtrement. Il faudrait sans doute un livre entier pour mieux rendre compte des mille et uns aléas de cet aspect là du projet Trielle. Raconter les découragements, les joies d’un mur enfin terminé, la dernière pierre posée, les mâtins gris où l’argent se fait rare, où on oublie qu’il faut espérer, où on ne sait plus où les choses vont, et puis aussi les soirées d’été sous les sycomores quand tout parait plus facile, les milliers de vies qui se sont croisées ici, au bout de ce chemin.

Parce que,comme nous le rappelle Bernard Proult, les «  idées appelant les idées, les projets en soulevant d’autres », de fil en aiguille se met en place un espace, comme un œil de cyclone, autour de Trielle, qui devient un point de ralliement de milieux pas nécessairement appelés à se croiser d’ordinaire: un public d’habitués, tous ceux qui aiment venir ou revenir ; artistes dans toute la gamme des arts où l’imagination humaine a jugé bon d’exceller depuis le théâtre, le travail sur le corps (à travers le mime ou la danse), la photographie aussi, la musique évidemment ; des jeunes publics, scolaires ou non, qui viennent tout au long de l’année à la rencontre de créateurs venus les soutenir dans la réalisation du projet pédagogique d’une classe, d’un centre aéré ; mais tout aussi bien simples curieux, marcheurs impénitents avides de grands espaces ; rencontres d’amis ou familles nombreuses pour des week-ends de détente. On peut même se marier à Trielle et gageons que ce n’est pas le plus mauvais endroit pour s’unir, tant le lieu, au bout du compte, tient là sa vocation première.

 Car, au final, n’est ce pas là, justement dans le fait de tracer des passerelles entre les gens, de relier les univers, coûte que coûte, contre vents et marées, la vocation première en même temps que la réussite principale de l’entreprise depuis ses débuts ?

L'esprit de Trielle

Car encore, il faut avoir vu passer tous ces voisins qui viennent spontanément donner un coup de main parce qu’il y a toujours quelque chose à faire ici, d’un raccordement électrique à l’installation d’une nouvelle terrasse, d’un escalier à construire ou d’une pelouse à défricher ; il faut les avoir vu deviser, sur le coup des midi, autour d’un apéritif bien gagné, à l’ombre du bar de l’hôtel pour comprendre que ce qui fait beaucoup sans doute de la force de ce lieu, c’est peut être justement la possibilité donnée à tous ceux qui passent ici, à, un titre ou à un autre, tellement différents les uns des autres, de se côtoyer, d’apporter leur pierre à ce bel édifice construit patiemment tout au long de ces années et peut être, ainsi, de s’enrichir les uns les autres.

Il faut avoir vu ceci pour comprendre ce qu’est l’esprit de Trielle…

Je n’ai pas posé la question mais je suis sûr que Jacques, Marie, Bernard, Yves et tous les autres doivent se dire de temps en temps, s’ils se retournent sur le chemin parcouru, que sans doute ça valait le coup ! Mais c’est pas tellement certain qu’ils le fassent parce que tout indique que ce sont plus volontiers des gens qui regardent devant eux …Il a bien fallu,  tout au long de cette histoire commune, non ?

Alors il faut leur dire… Bien sûr qu’il faut leur dire… Allez donc à la ferme vous aussi… Ils organisent des vendredis à thème gratuitement tout l’été… Ou allez y manger, il faut réservez… Ou allez y marcher… Ou mariez vous tiens, ce serait sûrement une bonne idée de le faire là plutôt qu’ailleurs…

 

Oui, c’est ça, allez leur dire…

 

Portfolio : il était une fois... a Trielle....

il était une fois une classe de sixiéme...

qui répétait ( une semaine durant) et jouait ( deux fois) une pièce de théatre qui s'appelait " le festin".

ils ont des récréations aussi ( comme tout le monde)

une autre fois le tango...

ce soir c'est le bal qui termine la semaine de stage...

une autre fois encore le chi...

ou l’accueil du printemps dans les corps...