Le Madet.
Les écoles démocratiques : vous avez dit alternative ?
Les exemples de Terre D'Eveil au Madet (63) et de l'école pétillante à Montpellier.
L'école pétillante.
Depuis que les hommes ont décidé que vivre en démocratie, c’était pas si mal, les questions d’éducation ont pris une importance centrale dans la vie des sociétés concernées. Et le mouvement ne s’est pas amoindri avec l’importance des diplômes là où il n’y a visiblement pas de place pour tout le monde.
Et sans doute qu’en France, ces questions de l’éducation ont pris une importance encore plus grande, parce que liées au projet royal d’unification du territoire, à l’ambition républicaine ensuite. Assurant la continuité historique, l’Etat en a vite fait son affaire. C’est donc une vieille histoire que nous avons là. Au sein de laquelle Il y a toujours beaucoup de passion, des clivages profonds, des désaccords irrémédiables, des philosophies antagonistes. Legs de l’histoire. Mais visage contemporain.
Effectivement, si le projet des hussards noirs de la troisième République s’est toujours trouvé contesté – soit dans son fondement ( par l’Eglise par exemple) soit dans son application dans une contestation de ses méthodes pédagogiques -, la tendance ne s’est évidemment pas retournée avec le durcissement des enjeux autour de l’orientation scolaire et la course aux diplômes, plus que jamais sésame vers l’emploi.
Au total, l’école a toujours soulevé des questions qui la dépassait souvent. A ce titre, nôtre époque ne change pas des autres. La critique a longtemps accompagné le développement de l’école et on voit mal comment il aurait pu en être autrement tant il est vrai, qu’en France, ces questions étaient au cœur du creuset républicain où on demandait à l’école d’être bien plus qu’un simple lieu de transmission d’un savoir théorique. Son développement s’est ainsi toujours accompagné d’une sourde et constante protestation en même temps qu’il était porteur de tous les espoirs d’émancipation sociale. La nouveauté, nous semble t-il, tient à ce que la remise en cause a changé de nature. C’est que le projet républicain ne peut pas ne pas être atteint en son cœur par la sédimentation d’une société marquée par un chômage durable. Ne pas être atteint par une crise profonde du vivre ensemble. L’unité sociale n’allant de soi que chez les rêveurs et les oublieux, c’est encore plus vrai sans aucun doute dans une société gangrenée depuis si longtemps par ce fléau. Ce qui ne va pas sans soulever d’âpres et nouvelles problématiques à la question scolaire, comme on va le voir.
A travers deux exemples notamment. Ceux des écoles dites démocratiques du Madet et de l’Ecole Pétillante. Ce sont des lieux d’éducation fondés par des francs tireurs, des écoles privées hors contrat en langage administratif, où l’administration donne un blanc seing à l’ouverture mais n’accompagne pas, où il n’y a pas de programme, donc pas de professeurs et dans lesquelles les enfants accueillis sont libres d’organiser leur temps à leur guise. Où les fondateurs donc, parents et éducateurs, se sont posés quelques problèmes et ont décidé de passer à l’action et d’offrir une école différente. Nous, on n’est pas forcément d’accord avec tout ce qu’on y fait mais on trouve que c’est intéressant. On s’est posé quelques questions. On n’a pas répondu à toutes. Mais on a essayé de planter un décor et d’avancer un peu dans le défrichement. A vous de voir.
Alors d’abord, les écoles démocratiques, ques aco ?
Ce mouvement, qui connait un vrai succès en France depuis quelques années, est un mouvement européen regroupé dans une fédération nommé l’EUDEC, la Communauté Européenne pour l’Education Démocratique ( Cf. www.eudec.fr). Il s’agit de faire en sorte que » l’enfant soit en mesure de faire de vrais choix concernant ses priorités éducatives et sur les autres domaines ». Deux mots d’ordre clairement affichés ? D’abord : « Chacun devrait pouvoir choisir ce qu’il fait, quand, où, comment et avec qui, du moment que ses décisions ne transgressent pas la liberté des autres de faire de même »; ensuite : « Chacun, enfant comme adulte, devrait aussi jouir d’une part égale du pouvoir de décision sur le fonctionnement de l’organisation dont il fait partie, notamment sur le règlement intérieur et son application, participant ainsi à y instaurer un cadre de liberté, de confiance, de sécurité et de respect.”. Deux principes fondateurs donc : le libre choix et le cadre démocratique. Se profile ainsi en arrière plan une critique sous-jacente du système éducatif classique. Selon laquelle, d’après ce courant, nos rejetons ne sont pas considérés comme des êtres aptes à l’autonomie et à l’exercice d’une vraie liberté, responsable et maître d’elle même. Soit.
Ce courant éducatif a le vent en poupe. Déjà, près d’une trentaine d’établissements ont vu le jour en France sur les cinq dernières années. Sachant qu’ils sont « hors contrat » avec l’Etat et qu’ils ne touchent donc aucune subvention de sa part, on peut lui reconnaître un réel dynamisme. Il se passe quelque chose en somme.
Il s’appuie sur une philosophie dont une partie de l’évidente force tient en sa simplicité et qui, de plus, a déjà fait l’objet d’une validation historique. En effet, il y a eu des précurseurs qui ont laissé un héritage. Il s’agit de la célèbre et presque centenaire école anglaise de Summerhill, mais aussi de l’expérience américaine – la première école se revendiquant comme réellement démocratique – de Sudbury Valley ( Massachusetts) dans les années soixante dix, dans un tout autre contexte donc. Mais toutes deux dans le cadre de traditions nationales d’une éducation largement privée. La France a ses propres traditions où c’est l’Etat qui mène historiquement le bal en matière d’éducation.
Pour aller plus loin sur ce point :
pour Summerhill : https://youtu.be/_xqFSHa1FE8
Et pour Sudbury : https://youtu.be/pexyd4qXShk
Alors, oui, en France, c’est différent. parce que l’école est au coeur du projet républicain d’abord et parce que le chômage de masse a largement contribué à faire de l’éducation une course contre la montre et de l’école un univers de compétition aux règles aussi tacites qu’impitoyables.
Alors, pour ceux qui pensent que c’est très bien comme ça, que tout le monde est heureux autour de nos cours d’école, professeurs comme élèves, que c’est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que tout va très bien, madame la marquise ou alors ceux qui croient que c’est comme ça aujourd’hui parce que c’était comme ça hier et que ce sera ainsi demain et qu’on n’y peut rien, oui, tout ceux-là peuvent se dispenser de la lecture de ce qui va suivre, ou alors se contenter de regarder les images.
Pour les autres, vous pouvez commencer par regarder et écouter ce type, Ramïn Fahrangi, qui s’est taillé un beau succès sur les réseaux sociaux en créant une école à Paris, l’Ecole dynamique. Une école où personne n’est obligé de rien, si ce n’est à essayer de vivre ensemble. Il faut l’écouter parce que sa philosophie et son argumentation sont intéressantes et qu’il a une passion assez communicative. C’est pas là : https://youtu.be/Mi59UJYV9jU
Une révolution copernicienne ?
Il nous y parle notamment d’absurdité et de liberté. Absurdité ? Il nous rappelle qu’ Einstein disait que si tout le monde est doué pour quelque chose, le problème survient quand on demande à un poisson de monter à un arbre et qu’il a dés lors toutes les chances de penser toute sa vie qu’il est idiot. Vous suivez mon regard ? Ramïn Fahrangi explique aussi très bien qu’il faut oser faire le pari de la liberté, admettre que l’enfant n’appartient à personne et qu’il est le mieux placé pour savoir ce qui lui est nécessaire. Et que, par suite, ce qui lui est nécessaire devient facile à apprendre : lire, écrire, compter, manier un logiciel, une guitare électrique, un chalumeau, une règle de trois…
C’est là la philosophie de base de l’éducation démocratique. L’enfant sait ce qui est bon pour lui, ou s’il ne le sait pas, il apprendra. Il faut laisser faire, maître mot. Et se concentrer, c’est un deuxième pilier de ce type d’école, sur les éternelles questions fondamentales du vivre ensemble : qu’est ce qu’on fait des autres ? comment vit-on avec ? Comment peut-on gérer les conflits et désaccords ?
Fahrangi parle de révolution copernicienne. Et c’est pas très exagéré si on prend la peine d’y réfléchir deux minutes : l’enjeu est bien de se donner les moyens de préparer nos enfants à écouter et suivre leurs centres d’intérêt dans le cadre de de sociétés réellement démocratiques. En est-on là actuellement ? Tant du point de vue de l’école que celui de nos structures sociales ? C’est bien une autre vision, une autre philosophie qui est proposée là. Qui veut embrasser aussi bien le développement personnel que l’approfondissement démocratique. Ca n’en fait pas quelque chose qu’on ne peut critiquer bien sûr mais il s’agit de reconnaître ici le caractère largement irréductible à certaines des pratiques actuelles où le fait de « mettre l’élève au centre du système » pose encore des problèmes à beaucoup.
Et cet antagonisme entre l’école comme elle va et certaines exigences éducatives, les parents que l’on a pu rencontrer le formulent tous peu ou prou de la même façon. Il y a toujours les mots de liberté, d’épanouissement et d’autonomie. C’est si important que certains d’entre eux ont déménagé près d’une école démocratique pour pouvoir en faire bénéficier leurs enfants. C’est assez dire leurs motivations. « On a soit des déçus de l’éducation traditionnelle soit des personnes qui recherchent autre chose pour leurs enfants... » nous indiquent en chœur Gaelle et Géraldine, de la même école.
Ici, on est à la Peyrouse, près de Billom, à une heure de voiture de Clermont-Ferrand.. L’école du Madet fonctionne depuis la rentrée 2013 et le collège depuis deux années maintenant. Une trentaine d’enfants y sont accueillis quotidiennement. Au début, c’est l’idée d’un petit noyau de convaincus à qui, un beau jour, on propose ce lieu qui ne servait à personne. Dans un ensemble architectural appartenant à une maison d’enfants. Le directeur leur loue à titre gracieux s’ils s’occupent d’aménager les locaux et entretenir les espaces verts. Il n’a pas fallu leur dire deux fois.
Et c’est là que commence un véritable parcours du combattant. Où il faut fédérer des énergies, obtenir les autorisations, mener des réunions publiques, se faire connaitre partout, mettre en place un programme, un moule commun qui satisfasse le plus grand nombre. Travail souvent harassant qui aura d’ailleurs raison de la bonne volonté de certains des lanceurs de projet. Jusqu’à l’épuisement. Ils préféreront laisser la place à d’autres qui prennent le flambeau. On démarre avec quinze familles, dans des locaux restant à peindre et à aménager.
Là, c’est le Mas Dieu. L’école pétillante. A une encablure de Montpellier. Autre projet. Plus jeune. On est à la deuxième rentrée pour un ensemble qui reçoit une quinzaine d’élèves. C’est Caroline Dutemple qui nous explique la genèse du projet. Elle est pas la plus mal placée puisque c’est elle qui en est la cheville ouvrière depuis le début. Avec une associée qui depuis est partie sous d’autres cieux. Ici aussi. Il faut dire que ce type de projet vous prend tout entier, vous demande une passion, un temps et une énergie exponentielle et que certains n’y résistent pas. Il faut avoir ça à l’esprit pour mieux comprendre ce qui motive ceux qui restent. Car ce sont vraiment des gens déterminés. Caroline, c’est une institutrice ( on dit maintenant professeur des écoles mais c’est moins joli non ? ) qui enseigne donc depuis une dizaine d’années mais qui ne s’est jamais satisfaite du fonctionnement de l’école traditionnelle. Quelque chose me manquait nous dit-elle. L’essentiel rajoute t-elle dans un sourire entendu. « J’ai eu besoin de reprendre ma liberté. Toutes ces années, il m’a fallu rentrer dans un cadre où j’ai mis longtemps à me rendre compte que je ne m’y épanouissais pas… J’étais pas loin d’un espèce de burn out… Il m’a fallu remonter la pente et j’ai compris qu’il fallait un autre projet.. J’ai compris également qu’il me fallait rester auprès des enfants. C’était important pour moi… J’ai commencé par me reconstruire un peu.. Un jour, lors d’un stage de développement personnel, j’ai eu comme une renaissance… J’ai décidé qu’il me fallait créer un lieu d’accueil d’enfants mais à ma sauce. Ca m’est apparu comme évident. Et à partir de là, en me documentant, en allant dans des festivals, on est en septembre 2016, je suis tombée sur un stand de l’EUDEC, les écoles démocratiques. C’était parti… Mais ce n’était que le début, je ne savais pas encore ce qui m’attendait…
Après, et bien, c’est toujours pareil : il faut trouver un lieu d’accueil pouvant recevoir des enfants, des gens avec qui travailler, des familles voulant jouer le jeu ( et c’est pas rien comme on va le voir)… Pour l’Ecole pétillante, ça va se passer à peu près ainsi : » Dés Novembre 2016, on organise autour de Montpellier des réunions publiques où il vient au moins une dizaine de personnes à chaque fois, des fois trente ou quarante, on crée une page facebook, on contacte les mairies. Jusqu’à ce que le maire de Montarnaud nous mette en contact avec le propriétaire du Mas Dieu. Que l’on finit par rencontrer en janvier 2017. Qui va nous aider à préciser notre projet et à le rendre viable surtout. Parce que le loyer va pas être donné – autour des trois mille euros mensuels – et qu’il faut rentabiliser les locaux selon lui. Il nous conseille de louer les locaux quand on ne les utilise pas, c’est à dire le week end, le mercredi et le soir. On crée donc une SCI et en mai 2017, j’en deviens la salariée. Avec une rentrée prévue en septembre. On n’est pas prêt à cette date. On repousse donc la rentrée. On a une dizaine de famille qui joue le jeu. Vingt huit enfants qui attendent ! Finalement, on y arrive en Octobre. Heureusement, il y les bénévoles aussi : Youri, Sébastien, Natacha qui arrivent petit à petit, intéressés par le projet. L’année est chaotique de bout en bout. Mon associée s’en va, des familles nous quittent aussi… C’est très compliqué… On n’est pas encore une équipe… je ne sais pas comment on a tenu quand j’y repense…
Et oui, c’est compliqué. Les écoles démocratiques sont encore hors contrat avec l’Etat, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de programme à respecter autre que celui qu’elles veulent bien se donner en toute autonomie. Mais ça signifie aussi qu’elles ne peuvent fonctionner avec de l’argent public. Ce sont donc les parents qui financent. De deux manières qu’il faut avoir à l’esprit pour mieux jauger de leur détermination. D’abord ils paient en argent sonnant et trébuchant, entre 150 et 300 euros par mois selon leurs revenus. Il faut prévoir le transport quotidien aussi ( puisque il n’existe pas de transport scolaire) et le repas de midi qui n’est pas assuré dans les locaux pour des questions de normes d’hygiène. Ensuite, dans le cas du Madet, ils doivent un certain nombre d’heures – autour de cinquante par an – pour assurer des tâches de gestion administratives, de surveillance des temps péri-scolaires et d’entretien des locaux. On en passe. Mais c’est suffisant pour reconnaître qu’il s’agit là d’un vrai engagement. Les contreparties ? On a demandé. Et bien c’est d’abord la satisfaction de voir grandir la progéniture dans un environnement propice à l’épanouissement, sans stress superflu, parce que sans note et sans classement, sans adulte pour dire qu’il est l’heure de faire autre chose que ce dont l’enfant a envie, où tout est mis en place pour que l’enfant grandisse au milieu des autres et prenne sa place dans le projet collectif.
Inscrire chacun dans un projet collectif.
Comment on fait avec la liberté ?
Parce que, dans école démocratique, il ya école. Et il y a démocratique. Et ce n’est pas un vain mot dans le fonctionnement quotidien des deux écoles. Ainsi, une voix est une voix qu’on soit adulte ou qu’on ait cinq ans. Au Madet, a lieu tous les lundis le conseil de collège avec tous les concernés. C’est là où sont discutés tous les points de la vie quotidienne. Depuis les tours de vaisselle jusqu’aux projets à mener, individuels ou collectifs. C’est la « météo de l’école » nous dit Gaelle, là où se forge un certain état d’esprit. Une boite (voir ci contre) peut recueillir toutes sortes de réclamations déposées par de petites mains et demandant à être traitées.
Et puis, il y la vie. Comme elle va. le quotidien. Les conflits. Petits ou grands. Peut être Inévitables. On ne sait pas à vrai dire mais en tous cas, il faut bien les traiter quand ils sont là. Et pour cela, le Madet dispose de deux instances de régulation : le parlons-en où un médiateur peut être demandé pour aider à résoudre un conflit qui ne trouve pas tout de suite de solutions – c’était déjà comme ça à Summerhill et tous les élèves s’en souviennent très bien – ; et il y a le conseil du vivre ensemble (CVE) où sont présents des représentants de l’école, du collège et des adultes référents ( ils sont deux côté école et deux côté collège). Tout ce monde est formé à la communication non violente pour aplanir les angles et proposer d’autres modes de communication que ce qu’on voit fleurir un peu partout, sur nos écrans. Même chose ou presque à l’Ecole Pétillante où on retrouve la même volonté de faire participer tout le monde sur le principe de une voix, une personne. Les instances s’appellent ici le conseil d’école et le conseil de justice associé au conseil restauratif qui fait de la prévention.
Il y a aussi des critiques...
Alors bien sûr qu’il existe des critiques des alternatives éducatives. Bien sûr qu’il y a des gens dubitatifs. Des parents inquiets, sceptiques. Bien sûr aussi qu’il n’y a pas de modèle parfait. Disons que le succès de ce type de propositions éducatives ne se dément pas, mais reste à relativiser tout de même : trente mille enfants sont scolarisés dans une école hors contrat en France ( sur près de six millions d’élèves). Cette tendance ne se comprend pas, pour le cas français, sans avoir conscience de l’ampleur de la crise de l’Education Nationale. Dans laquelle les prétendants au professorat ne ne bousculent pas au portail. Ou de moins en moins. A cette crise des vocations s’ajoutent une crise de l’autorité éducative dans laquelle une large partie de la population a fini par ne plus croire, à force d’espoirs déçus, dans le pacte républicain d’ascension sociale.
La crise, puisque c’est difficile de la nier, est multiforme, comme toute crise qui se respecte. Mais son aspect le plus saillant ne réside t-il pas dans le fait que l’institution ne semble plus croire elle même dans son projet émancipateur ? Mais, au risque de la répétition, il faut le redire : comment le développement d’une société du chômage de masse, génération après génération, aurait-il pu ne pas sérieusement écorner le mythe d’une école émancipatrice pour tous ? Qui y croit encore ? Une impression diffuse de dés pipés. De promesses non respectées. Que les fils et filles d’ouvriers sont toujours absents des « grandes écoles »( Expression qui vaut son pesant de déterminisme social d’ailleurs : parce qu’il y en aurait de petites donc !). Comme ils le sont de tous les lieux de pouvoir. Et puis toujours cette impression que la machine continue de remplir sa fonction, coûte que coûte, mais pas pour tout le monde pareil.
Sans même parler de l’ennui. Du terrible et poisseux ennui qui nous a tous saisi sur les bancs de nos salles de classe. Un jour ou l’autre, comme un passage obligé. Devant une équation de second degré dont on sait bien qu’elle ne nous sera jamais d’une quelconque utilité. Devant les listes de verbes irréguliers. Les déclinaisons. Les subordonnées relatives. La règle plutôt que l’envie.
« Centrer l’école sur l’enfant », qu’ils disent. Et bien allez-y, il y a du travail ! Cette impression que l’école tient plutôt de la gare de triage que du paradis émancipateur. Qu’on ne sait pas trop quoi demander au juste à notre école : former des citoyens éclairés et responsables ? Les futurs salariés de demain ubérisés et interchangeables ? Le projet scolaire parait écartelé entre des options pas forcément congruentes. Difficile donc d’y faire sa place. Quant à parler de plaisir… L’école a beaucoup changé, évolue aussi, mais ne lui demande t-on pas trop ? Ou mal ?
En France, il est vrai que l’école a toujours cristallisé de nombreuses passions. Divisé souvent. Intéressé toujours. Parce que l’école est lié intrinsèquement avec les promesses de la République. Figure tutélaire de Ferry. Et donc de l’Etat. Une certaine idée du vivre ensemble.
Combien de livres écrits, d’odes et de chansons composées, de films tournés pour vanter les mérites du modèle éducatif français, ses hussards noirs, ses brillants réformateurs, ses succès indéniables ? Combien de passe d’armes – entre ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas – à son sujet tout au long de son histoire ? Entre élitistes et partisans d’une école pour tous ? Entre conservateurs et réformateurs de tout poil ? Les visages changent, mais n’est ce pas toujours un peu la même chose au fond ? Ceux qui voudraient moins et ceux qui veulent toujours plus ? Vieille histoire donc ….
Cette question sur les alternatives est donc à peu près aussi neuve que la question scolaire elle même. Nombreux ont été les réformateurs plus ou moins éclairés. Les partisans de l’Ecole Démocratique, dans la droite ligne des précurseurs de Summerhill et de Sudbury Valley, portent cependant un projet assez radical en ce qu’il remet en cause la place des adultes dans le projet éducatif. L’enfant est d’emblée mis au centre du processus en ce qu’il est postulé qu’il est le mieux placé pour savoir ce qui lui faut et de quoi a t-il besoin et que, donc, par suite logique, l’adulte n’a qu’un droit à l’accompagnement et non plus d’initiateur. Ce n’est plus lui qui décide ce qui est bon pour l’enfant. C’est là le coeur, pour nous, de la radicalité du projet. C’est là aussi en partie où les critiques pleuvent. Et dru.
Et ici, on ne peut que lire avec un grand intérêt ce qu’écrit et dit le pape du pédagogisme à la française, la figure incontournable dés qu’il est question d’école, le dénommé Philippe Meirieu.
Or, que nous dit-il sur ces alternatives qu’il ne se prive pas de critiquer durement ? Il nous semble que sa critique porte sur deux aspects distincts et complémentaires. D’abord il s’interroge sur la place de l’adulte dans le processus éducatif tel que l’imagine les partisans de l’Ecole Démocratique. Ensuite, il questionne aussi les risques d’entre-soi générés par un enseignement privé et donc payant et ses conséquences sur le vivre ensemble dans le cadre républicain.
Pour ce qui concerne la place respective de l’enfant et de l’adulte dans le processus éducatif, plutôt que d’accompagnement, il pointe le risque de démission de l’adulte et de ses responsabilités en matière éducatives, voire d’une sorte de « gourousation » de ce rapport. De plus, n-y-a t-il pas là un risque de » ne réserver l’accès aux savoirs qu’à ceux que leur environnement familial et social aura déjà formés à une pensée structurée » ?
Car, « à confondre le désir de savoir et la volonté d’apprendre (…) on ignore que la volonté d’apprendre exige de faire son deuil de la satisfaction immédiate du désir de savoir et que ce deuil ne peut s’effectuer qu’accompagné par la promesse de l’adulte (…) qui incarne la possibilité d’une satisfaction future ».
Et Meirieu d’enfoncer le clou : » derrière son refus de toute autorité, sa volonté de laisser s’exprimer la curiosité naturelle de l’enfant, de parier sur la seule nature pour stimuler son intelligence et de mimer la démocratie politique dans ce qui reste de l’espace scolaire, il apparaît tout simplement comme exprimant un déni d’éducation, une résignation aux inégalités, voire un refus du principe éthique fondateur de l’éducabilité de chacun ». Bigre ! Mais Philippe Meirieu, qui a de la suite dans les idées, ne s’arrête pas en si bon chemin et va plus loin : il attaque aussi le projet des hyperpédago, comme ils nomment les héritiers de Summerhill, dans ce qui constitue le coeur de son discours politique, à savoir la meilleure façon de vivre ensemble.
En effet, en mettant sur le même plan les tenants d’un retour de l’autorité et de la sélection des meilleurs ( dans la foulée d’un Finkielkraut) avec les défenseurs de l’Ecole Démocratique, il propose de s’interroger sur cette congruence entre cette volonté élitiste et l’entre soi » qui mettrait à mal l’école publique et son projet égalitariste.
Il se demande, faussement ingénu, si « la crainte du mauvais élève, mal éduqué par sa famille, ne partageant ni les mêmes valeurs ni la même culture, rétif à l’ordre scolaire dont il ignore largement les codes, était finalement à la source de la lutte contre l’égalitarisme d’un côté et pour la cooptation grégaire de l’autre ? » C’est dit !
Et autrement dit, il nous amène donc à nous interroger sur le fait de savoir si le projet des écoles démocratiques en particulier et de certaines alternatives pédagogiques en général ne recèle pas, sui généris, une attaque contre le projet égalitariste de l’école républicaine et par suite, de ce vivre ensemble forgé par l’histoire sociale française.
Et l’auteur, un peu plus loin, d’exprimer des regrets que l’école dite traditionnelle perde régulièrement des élèves tandis que l’enseignement privé ne cesse d’en gagner, que les trois quart des français restent attachés au libre choix et de se demander s’il n’y a pas là le risque majoré d’un » éclatement du creuset républicain qui représente un danger majeur pour l’avenir de la société française ». Et de plaider pour une intégration par l’école publique de l’ensemble des acquis pédagogiques avec des enseignants responsables de leur projet d’établissement devant les parents. Faut il voir là un hommage du vice à la vertu ?
En tous cas, les réflexions de Meirieu amènent à s’interroger sur ce qui se joue dans le projet des écoles démocratiques sur le plan de la place de l’adulte dans le processus éducatif et celui de la question de l’éducation dans le projet républicain. Ce qui n’est pas rien, chacun peut en convenir..
Nous, on n’a pas vocation ici à distribuer les bons et les mauvais points mais on peut raconter ce qu’on a vu : des parents plutôt satisfaits, c’est le moins qu’on puisse dire, et même particulièrement engagés dans la bonne marche de « leur » école ; des élèves heureux d’être là, des adultes pas moins… Tout n’est pas rose bien sûr, ici comme ailleurs. On a trouvé des enfants qui ne trouvait pas leur place, des parents fatigués d’avoir à se justifier partout de leur choix éducatifs ( et notamment dans les familles..), des éducateurs référents bousculés par la vie d’une école et ce que ça implique comme abnégation au quotidien… Mais enfin, ce qui domine, c’est quand même une impression d’une grande satisfaction de tous côtés. On a vu des élèves travailler des maths, ne rien faire, peindre, jouer à l’ordinateur, faire du vélo, de la balançoire, donner à manger aux poules, s’occuper du jardin, faire du sport, préparer un poster.. Et même préparer le brevet des collèges. Des ados au téléphone ( pléonasme ?), des ados sans téléphone ( mais oui !), des élèves regrettant juste « qu’on est toujours avec les mêmes » ! Mais qui ne changeraient pas d’établissements pour autant…
On a vu aussi des adultes satisfait de ce qu’ils font. Ou semblant l’être en tous cas. Rosaline, une maman, qui nous dit que l’école » a donné des ailes à sa fille » et qu’elle lui parait apte maintenant à reprendre un cursus classique.
Au total , il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Les gens impliqués dans ces projets en sont souvent très fiers, paraissent heureux d’y participer, à un titre ou a un autre, et il le faut, car c’est souvent difficile. le manque de moyens est criant et le système D la plupart du temps indispensable. Les élèves semblent satisfaits eux aussi. Alors, il n’y a pas de problème ?… Non ? Si tout le monde est content… Les partisans de l’alternative pour l’alternative peuvent être satisfaits eux aussi. Parce qu’est expérimentée ici, en vrai et grandeur réelle, une authentique utopie pour le coup. On ne part pas de rien cependant : la continuité d’un projet comme celui de Summerhill ( bientôt un siècle quand même) donne un peu de recul et permet de constater que près de 80 % des sortants trouvent un métier ou une formation adaptée. A peu près comme dans le système mainstream.
Alors, où est le problème ? Il nous semble qu’il n’est pas dans la permanence d’un système alternatif à coté de l’enseignement public. Mais bien plutôt dans son éventuelle ( et pourquoi pas ? Si ça marche… ) généralisation. En effet, si, comme le réclame beaucoup de partisans de l’alternative, les parents avaient réellement le choix ( comme le réclament depuis longtemps certains libéraux par l’intermédiaire du chèque éducation et du libre choix éducatif ), qu’est ce qui pourrait garantir que nous ne nous retrouverions pas avec un système scolaire à plusieurs étages, avec des écoles publiques – pour pauvres donc -qui côtoieraient des écoles à 1000, 2000 euros etc le mois. Tiens, ça ne vous dit rien ? Mais oui, c’est le modèle américain. Un modèle vraiment ? A moins que le creuset républicain sache accueillir en son sein, comme cela a été si souvent le cas, les velléités réformatrices de quelques uns, les pionniers, les précurseurs, les francs tireurs…
D’un autre côté, via filières d’excellence, détournements de carte scolaire quasi institutionnalisés, « grandes écoles », établissements privés, enseignement supérieur de moins en moins gratuit, n’est-on pas déjà, peu ou prou, dans ce cas de figure ? Ou, pour le dire autrement et conclure ( provisoirement) sur le sujet, qu’est ce qui peut nous garantir que la généralisation de ces alternatives éducatives ne prépare pas le terrain à un éclatement du service public éducatif ? A contrario, on peut également se demander si ce dernier n’a pas tout à gagner à intégrer tout ou partie des modes éducatifs alternatifs.
Mais, si un jour, il existe une réelle rencontre entre ces deux univers, il n’y aura pas de juste milieu en ce qui concerne les objectifs et les moyens mis en place dans la trentaine d’écoles démocratiques sur le territoire français : il faut réellement lâcher prise et faire résolument confiance à l’enfant. Et donc reconsidérer la question de la place de l’adulte, de l’enseignant, des programmes à respecter… Bref, reconsidérer toute une histoire scolaire qui a marqué toutes les strates de la société française au plus profond… Rien de moins. Il ne saurait y avoir de milieu : soit on décide que l’enfant est capable d’être autonome, soit il ne l’est pas… Ca reste à trancher…
Vous avez dit révolution copernicienne ?
Bibliographie non exhaustive :
Kaizen : « l’école est finie, apprenons autrement », num 40, septembre 2018.
Philippe Meirieu : « La riposte, pour en finir avec le miroir aux alouettes », ed. Autrement, 2018
Ramïn Fahrangi : « Pourquoi j’ai crée une école où les enfants font ce qu’ils veulent « , actes sud, domaine du possible, septembre 2018.
Peter Gray : « Libre pour apprendre », Actes Sud, octobre 2016
As Neil : « Libres enfants de Summerhill », Folio Essais, réed. decembre 1985
Et des sites internet à foison parce que nos personnages font du bruit partout où ils peuvent…