Comment on accueille à la mode cantalo-suisse
ou la meilleure façon de gîter...
Il fallait oser quand même. Oser se construire un écrin pareil. Oser le hammam. Le sauna. Il fallait oser ici. La Vigerie. 102 âmes au compteur. Commune de Dienne. Cantal. En pleine vallée de la Santoire. Un endroit magnifique bien sûr. Au pied du col de Serre. Un pays de cervidés. Deserté par les hommes. A moins que…
A moins que..
Mais une question après l’autre ! Parce que d’abord comment on fait ? Comment se concrétise un projet comme ça ? Comment il germe dans les imaginations ? Et puis comment il prend forme petit à petit, devient réalité ? Comment il se gère ensuite ? Quel en est le quotidien ? Quel en est l’avenir enfin ? Voilà, c’est à peu près tout (?) ce qu’on a voulu savoir en allant voir Stephane et Virginie. Et puis en retournant les voir une autre fois. Et puis encore une fois… Parce que c’est un plaisir d’abord. Et parce qu’ il faut le temps nécessaire pour comprendre tout ce qu’a signifié pour eux la réalisation de ce petit bijou d’accueil touristique recevable au titre d’écolabel européen. Rien de moins.
Parce que dix ans déjà. Dix ans d’aventure. Alors, vous ne trouverez pas ici de description précise des lieux et des multiples possibilités qu’offre la structure que ce soit à l’intérieur de ses murs ( chambres, hammam, sauna…) ou à l’extérieur ( le bain nordique, la « cabane » et plus loin toute la chaîne des puy et ses vallées profondes. Pour tout cela, vous avez la possibilité d’aller voir directement sur le site du gîte ou sur celui de « the voyageur » donné en fin d’article. C’est très bien fait et largement suffisant pour se faire une idée un peu précise des lieux.
Nous, ce qui nous a intéressé ici, c’est plutôt de remonter à la genèse du projet, aux parcours de ses concepteurs, Virginie et Stephane, et à leur quotidien. Essayer de comprendre leurs motivations, leurs difficultés aussi. Evoqué un peu leurs projets aussi.
Alors, il y a Virginie, une suissesse des environs de Montreux, qui s’y connaît donc en montagne, trentenaire au faciès de joconde, qui s’est peut être énervée une fois mais personne ne s’en souvient, la douceur incarnée en somme et puis Stéphane, origine dûment contrôlée de par ici, l’enfant du pays quoi, néanmoins grand voyageur, trouve ainsi le moyen de se blesser sérieusement à l’épaule, lors d’un baignade au Cap Vert, emporté par une vague énorme, organisateur de raids pédestres ou vélo partout autour du monde, tignasse bouclée de cheveux blonds, regard incisif, qui se met à briller aux mots de montagne, raid, aventure… mais sans l’esbroufe un brin fatiguante qui va avec parfois. Peut être sa formation initiale à l’ethnographie lui a t-elle appris à conserver un certain recul sur les choses. Allez savoir…
En tous cas, un beau jour, les deux se rencontrent lors d’un stage de parapente sur les versants du Puy Mary, c’est vous dire l’ambiance générale, un tantinet sportive, dans le couple !
Alors ? Et bien alors on a discuté un peu autour d’une bonne vieille table en bois épais, bols fumant de thé, carnets de photos. Savent rester tranquille aussi nos deux acolytes ! Il fait beau dehors. On croirait pouvoir caresser le Chavaroche, juste là, de l’autre côté de la baie vitrée. Carte postale. On discute un peu partout en fait à Alta terra. Tout s’y prête sans qu’on sache trop pourquoi. Question de disponibilité sans doute. Comme une volonté doucement suggérée. Et puis les lieux peut être aussi. Les larges banquettes qui n’attendent que vos fesses. Le bar aussi qui appelle le coude. Surmonté d’étranges luminaires orange. Et puis l’escalier menant aux chambres et à la large terrasse de bois aussi tiens. Et même dehors on continue de discuter.
Virginie et Stephane
Alors, à l'origine....
Et bien à l’origine, il y a l’achat de la maison, nous raconte Stéphane. « C’était une mamie qui tenait l’hôtel, un vieil hôtel fondé dans les années 1910, et qui ne voulait pas qu’il aille chez quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Alors, elle me le vend en 2002. Nous, on était en Suisse et on oublie presque qu’on était propriétaire de ce truc, qui nous coûtait pas tellement cher. Moi, j’étais toujours en voyage en quelque part, en train d’accompagner des groupes un peu partout, Virginie travaillait comme historienne dans son canton en Suisse. Et puis, et puis moi, je me pète l’épaule, Virginie n’avait pas tant envie que ça d’être archiviste, j’avais des difficultés pour faire renouveler mon permis de séjour, on avait un enfant en route…
Et Virginie de préciser : alors, on s’est dit que c’était le moment de se lancer… On voulait… On s’est dit que c’était le moment… On a commencé à réfléchir sur ce qu’on voulait, sur ce qu’on pouvait faire aussi… Une copine architecte allemande, originaire du cantal en plus, nous fait les plans. On se dit que c’est une maison qui a une histoire et qu’il faut respecter cela… On veut des produits sains. Dans ma famille, c’est normal ça. On réfléchit, on échafaude des projets et ça dure presque un an….
Et puis, on décide de venir s’installer. On est en 2005. Moi, ça me trottait dans la tête depuis un moment. Depuis tout petit en fait quand j’entendais souvent les gens dire qu’ils venaient ici parce que ce n’était pas cher et non parce que c’est beau tout simplement. Moi, ça me faisait mal. Je voulais faire connaître mon pays pour d’autres raisons. En quelque part, j’ai toujours voulu faire ça. Alors, quand on arrive ici, on sait qu’on va tout refaire, donc tout démolir tout en voulant conserver l’âme des lieux, respecter son histoire… On commence par louer une maison dans la vallée et on commence les travaux. Le plus lent, c’est la démolition, tout mettre par terre, tout évacuer. Ca va durer deux ans, le chantier. Jamais on aurait cru que ça dure aussi longtemps. Si on avait su, si on avait pesé le pour et le contre, je crois pas qu’on l’aurait fait. Au bout du compte, On a fait à peu près 50 % nous mêmes, les entreprises sont plus ou moins fiables évidemment. C’est énorme en terme de budget et en heures de travail. Surtout qu’il faut bien vivre aussi. Avec un enfant. Alors, parallèlement, je continue l’accompagnement de randonnées et Virginie trouve un emploi à la boulangerie de Dienne
Et puis il faut bien dire qu’on n’y connaissait rien….On n’avait pas trente ans et on courrait après les entreprises, les banques, les dossiers de subventions, toutes ces choses qu’on ne connaissait pas… Il a fallu qu’on apprenne à faire plein de choses qu’on ne maîtrisait pas… L’enduit par exemple, poser un plancher…
Oui, c’était des moments désagréables au final… Le moment de la construction, c’est pas un bon souvenir en fait. On n’avait pas d’argent propre…. C’était compliqué… On peut dire qu’on a pas mal galéré…
Combien ça a couté au final ?
Pas loin de 400 000 euros dont 150 000 de subventions en plusieurs tranches. Les fonds LEADER européens c’est 60 %, le reste c’est la région ou le département 20 % chacun. Pour la terrasse, on a bénéficié d’une aide du pays de Saint Flou, ils nous ont aidé à réaliser nos dossiers de subventions notamment. On avait des gens sur qui compter. C’est important ça aussi. En gros, ça a été 1/3 de subventions, 1/3 d’emprunts, 1/3 d’apport personnel. On n’était pas riche mais on avait des idées quand même. Par exemple, on a fait une fausse liste quand on s’est marié où les gens ont pu souscrire des parts de béton, de marche, de sacs de ciment, de bois et autres… ça a bien marché… Et ça nous a bien fait rigoler en prime…
Ca pourrait avoir coûter moins cher mais pas avec les mêmes matériaux. On a fait clairement des choix écologiques pas économiques. On choisissait systématiquement les matériaux les plus nobles et les plus sains. On voulait un hammam aussi, dés le départ, parce qu’on y allait en Suisse et qu’on trouvait ça bien, un sauna, un bain nordique parce que ça fait du bien après les randonnées, on le savait pour l’avoir expérimenté, ça aussi. On voulait pas refaire « trop neuf » non plus. On voulait conserver quelque chose de l’histoire. Pourtant, quand on a cassé, ça sentait le moisi partout. Mais quand la mamie qui nous avait vendu nous a donné son quitus, on s’est dit qu’on avait bien fait, qu’on avait pas fait tout ça pour rien. On voulait que ça rende comme si on avait pas fait de travaux. C’est peut être tordu mais c’est ce qu’on voulait. On a des clients qui arrivent et qui nous disent « ah mais ici, c’est ça le vrai cantal » et bien, nous, on est content… C’est ce qu’on voulait…
Sans doute il faut avoir vu les douches des chambres réalisées dans des vieux abreuvoirs à vaches pour comprendre. Les lits superposés faits sur mesure. Les toits végétalisés. Les enduits en argile. Allez donc voir les photos sur le site encore une fois. Pour vous faire idée de ce que Stéphane et Virginie veulent dire.
« On s’est découvert en fait ici, l’un l’autre, à Alta Terra. Découvert à quel point on a les mêmes envies, les mêmes priorités, les mêmes trucs qui nous emmerdent… On ne le savait pas forcément avant d’avoir entrepris tout ça. On a fait un truc dont on avait envie en fait… Et puis… Et puis ça a pris assez vite en fait. On a eu tout de suite beaucoup de presse… »
Et maintenant... ?
« Et bien, on a deux chambre de quatre, deux chambres de deux, la cabane dehors, une autre en projet…Un restau qui fait table d’hôtes… On dit souvent qu’ on fait du « mélange familial ». On mange avec les gens, les gosses courent partout. On a inventé un peu à mesure en fait parce qu’au départ on n’y connaît vraiment rien. On avait même jamais dormi dans une chambre d’hôtes, tiens. »
Et c’est quoi le quotidien ? « Déjà la mère de Stephane, Yvette, m’aide beaucoup. Surtout quand il est à l’autre bout du monde ! Sinon le quotidien c’est lever à 7 h, je m’occupe des enfants déjà, comme tout le monde. Et à 8 h, je m’occupe des gens. Petit déjeuner jusqu’à 10 h. On prépare les repas pique-nique pour les randonneurs. Après on fait la plonge du petit dej, le ménage dans les chambres quand les gens s’en vont. On mange vers 13 h. Et l’après midi, on continue le ménage, faut faire les courses, la compta. Et à 17 h, c’est le retour des randonneurs qui commence : faut préparer le hammam et le sauna, proposer un goûter. Il peut aussi y avoir du monde au bar. Vers 18 h, on commence la préparation du repas du soir. Et à 20 h on peut servir. On finit fréquemment vers 23 h. Et en été, c’est plutôt minuit quand on a tout fini. Voilà pour le travail quotidien quand c’est plein ».
Et c’est plein souvent ? « Globalement oui, mais surtout l’été et l’hiver. Le printemps et l’automne sont beaucoup plus calmes. On fait environ 1500 nuitées par an. Beaucoup de week-end évidemment. Et prés de quinze semaines où on est vraiment plein, celles de l’été, et puis les vacances de février pour le ski. Noël aussi est apprécié. Il vaut mieux réserver. Un mois avant en période normale, c’est plus prudent et trois mois sur les mois à neige. Mais on peut aussi juste venir manger si on réserve là aussi. Que des produits frais, locaux dans la mesure du possible. On fonctionne à flux tendus pour la table. On peut aussi juste prendre un bain à la nordique si l’on veut et puis s’en aller ».
Et la clientèle ? « Hors vacances scolaires, c’est surtout le week-end et les gens viennent d’un rayon de 2 h de route. Mais l’été on a remarqué qu’on a de plus en plus d’étrangers ».
L’avenir ?
Et bien, on veut construire une nouvelle cabane derrière. On veut aménager tout autour. On aime bien jouer avec les structures d’accueil, diversifier l’offre… Ca nous amuse et les clients aussi je crois… Virginie est plus sur l’intérieur et moi sur l’extérieur. On se complète faut croire..
On est déjà ouvert toute l’année. On prend quelques vacances quand même. De temps en temps. Parce que nous aussi on aime bien voyager. Mais on voudrait pouvoir faire autre chose la moitié de l’année. On a envie de se nourrir d’autres choses…. C’est dans un coin de notre tête.. On a aussi des projets de voyage avec les enfants. Ils ont déjà 12 et 10 ans. Ca va vite là aussi et on se demande si on en profite assez. On y réfléchit en tous cas…
Mais tu sais, souvent on se dit : « mais c’est pas possible qu’on ait fait ça !! ». Alors …
Effectivement…
Alors ?
Et bien alors, tout est possible non ? Nous, on a fait quelque chose qui nous ressemble en fait. C’est pour ça qu’il n’y a pas de recette. Quand les gens viennent nous voir pour en trouver une toute faite, on leur dit qu’il n’y en a pas, qu’il faut juste s’écouter….Apprendre à s’écouter…
Au fait pourquoi alta terra ?
Et bien, Stéphane tient beaucoup à l’occitan. Son père le parlait beaucoup. Alors, on a cherché longtemps et puis on a trouvé Alta terra qui sonnait bien d’abord, qui était facile à prononcer et puis ensuite….
Et puis ensuite, ici, tu es à la jonction de deux mondes d’un côté et de l’autre du col de Cabre: celui des monts d’Auvergne où le patois auvergnat est dominant et de l’autre où c’est l’occitan méridional qui l’emporte. Alors dans Alta Terra, il y a un jeu de mots : en patois cela signifie l’autre terre et en occitan la haute terre. Ca nous a semblé bien résumer ce qu’on coulait proposer ici : quelque chose de différent dans ses lieux reculés de montagne. A l’époque, il n’y avait plus grand chose pour accueillir l’autre par ici…
Que rajouter ?
Tout est dit ?
Pour compléter, vous pouvez aller voir bien sûr le site d’Alta terra, très bien fait, pour vous donner aussi une idée des lieux et de leur beauté.
Vous pouvez également aller voir le blog » the voyageur », de Pauline Chardin, passée dans le Cantal, grande voyageuse, qui « laisse dans le coeur des ardoises » comme disait Bashung.
Et pour partager voilà le lien de l’article : https://lescarnetsdecir.fr/alta-terra/