La clef, incubateur culturel au pays de Layafette.

« Alors, on a commencé par créer une assoce. On était trois/quatre… On voulait un lieu de rencontres, un lieu où exercer nos passions aussi… Et puis on s’est vite retrouvés à vingt cinq. A notre grande surprise. Et puis.. .. ».

Il était une fois…

Et puis,.. Et bien, ça fait plus de dix ans maintenant que la Clef, café culturel, existe. En itinérance d’abord. Puis rue de la Pardige, quasiment aux pieds de la basilique St Julien, dont les murs épais en ont vu bien d’autres depuis le onzième siècle. Nous sommes à Brioude, Haute Loire, ci-devante sous préfecture. Dix ans donc que ça n’en finit pas de durer… Il s’agit de permettre la rencontre et d’être un support pour les initiatives locales. De créer une atmosphère propice au partage, d’animer des réseaux, de contribuer à la vie locale. Mais écoutons Fabrice, un des trois salariés du lieu, qui n’est donc pas le moins bien placé pour nous parler de l’esprit qui traîne du côté de la rue de la Pardige : « j’ai toujours été très actif dans des associations… Et elles portaient toutes des objectifs et des méthodes communs : proposer à un large public des outils, des lieux ou des ressources, des rencontres qui permettent à chacun d’avoir du pouvoir personnel et collectif, d’agir, de transformation sur leurs propres vies ou sur la société« .

Automne 2007. Création de l’association La plume de ma tante. Septembre 2009 : ouverture du café lecture. Enthousiasme des débuts. Méfiance tout autour. Pérennité quand même.. Changement d’équipe : des fondateurs sont partis, d’autres ont pris le relais… Et ça perdure.. Encore… 2017 : pas loin de cinq cent adhérents, quelques dizaines de bénévoles, dont une vingtaine très impliqués, trois salariés à temps partiel ( pour l’instant) font vivre les lieux.

Vivre ? Et comment que ça vit !!  On peut même dire que ça percole sévère au 53 de la rue de la Pardige.

2017 : 400 animations, 5000 curieux accueillis

Qu’on en juge : pour la seule année 2017, voilà un espace ouvert du mardi au vendredi de 11 h à 20 ( et parfois plus, si affinités, le week-end : suffit qu’il prenne à quelqu’un l’envie de faire des tartines avec des produits du marché le samedi matin par exemple). La cantine tourne donc deux fois par jour. Les quatre placides piliers de béton brut, autour desquels tout se passe, ont ainsi vu pas moins de presque quatre cent animations sur cette seule année, sans compter le hors les murs, parce que les bougres s’exportent et peuvent tout aussi bien venir dans votre salon ( ou votre grange !) – ils ont même créé un bar et une scène mobile pour cela, ensemble appelé le BOUM, bar des utopies mobiles – , et peuvent investir une place ou une salle polyvalente où bon leur semble. C’est beaucoup plus qu’une anecdote, ce fameux BOUM, parce que ceci témoigne d’une volonté constamment réaffirmée d’amener une certaine vision de la culture là où elle va pas forcément toute seule : c’est dans l’ADN de la Clef. Nous y reviendrons.

Au total, ce sont pas moins de cinq mille entrées, soit l’équivalent de la population de la ville, soit encore un peu plus de dix mille semelles qui se sont frottées au carrelage du café tout au long des deux cent cinquante jours d’ouverture ( si on enlève les week-end et le mois d’août où les gens se reposent, il faut bien !).

Vous passerez bien au salon ?

On peut donc dire que, parti de pas grand chose, et aidé par pas grand monde, si ce n’est un réseau particulièrement vivace, ancré autour du monde paysan et celui des cafés associatifs, le souffle se maintient et la Clef a réussi son pari : elle est maintenant partie prenante du paysage local, la presse suit, les manifestations s’enchaînent. A tel point que la mairie a multiplié par vingt le montant de sa subvention ( des 100 euros royaux des débuts à presque deux mille euros maintenant !), surtout on signe maintenant une convention pluri-annuelle entre les deux parties : du matériel, des salles sont prêtés. Un vrai signe de reconnaissance publique donc ! Allez, presque un embourgeoisement !

Alors, avant d’en arriver à ce point, et si on veut bien se retourner un moment, quelle histoire quand même ! Nous, en tous cas, on a fait comme d’habitude, on s’est intéressé à la genèse, comment l’idée a germé, et comment elle a pris forme, les difficultés, les avancées… Remonté le temps donc pour essayer de mieux voir comment on fait émerger un truc pareil… Et comment on le fait vivre, traverser le temps et ses épreuves…

" Quand même, on a agrandi les champs du possible ici... "
Karine

La Clef : un projet nécessairement évolutif…

Et puis d’abord une question tiens : qu’est ce qui a bien pu leur prendre de penser à un truc pareil, à ces hurluberlus ?! Qu’est ce qu’ils voulaient faire ? Qu’est ce qu’ils ne voulaient pas faire ? Ces questions, on les a posées. Et bien… Et bien alors, tout de suite, comprendre une chose une bonne fois pour toutes : si la Clef a été imaginée et s’est construite sur un socle de valeurs très fortes, elle résiste et sans doute continuera de résister à tout essai de définition fixé dans le marbre ad vitam aeternam. Tout simplement parce que, et ce n’est pas la moindre de ses mérites, cette aventure, ce sont les gens qui la font qui ont réellement les moyens de l’amener où bon leur semble. Fabrice, en charge de la compta et de la gestion du lieu, ne le dit pas autrement :  » lorsque, en 2011, j’ai découvert la clef, j’y ai facilement retrouvé cette volonté de ce que chacun puisse trouver une place et s’y épanouir… Dans mes activités bénévoles, j’ai fait des permanences au café, animé des ateliers, organisé des événements, participé à la gestion et à la direction de l’association, fait à manger, former d’autres bénévoles ou d’autres volontaires. La liste est longue… »

Ca bouge donc et ça évolue tout le temps au gré des préoccupations du moment ou de telle ou telle initiative. Tout un chacun peut y proposer ce qu’il veut et, si personne n’a d’objections, et bien on y va. C’est aussi simple que cela. La clef est d’abord un outil. Et c’est donc par nature ce que les britanniques  – on en trouve aussi à la Clef ! – appellent un work in progress. Elle a été imaginée comme ça. Elle ne peut se définir à priori et est, de fait, toujours en construction.

" On était quelques uns..."
Xavier

Alors, une fois ceci bien calé dans l’esprit, écoutons les fondateurs, écoutons l’un d’eux, Xavier : «  Nous, on arrivait dans la région, on était des néo ruraux en somme et il nous manquait un lieu de rencontre, un lieu où on se sentirait bien.. On était quelques uns… Moi personnellement, j’entendais des discours sur la mort du bénévolat et ça m’énervait… En 2006, on crée une association disons de préfiguration, on commence à faire des réunions et on se rend compte qu’il y a une attente… Des gens viennent, peut être une vingtaine…On se constitue un petit réseau.. Des amis d’amis… ».

Permettre les rencontres, mettre la culture à la portée de tous…

Les premiers temps sont consacrés à définir ce que veulent les gens présents lors des réunions : un lieu de rencontres ? OK. Un lieu de concerts ? OK aussi. Un lieu de partage de savoirs autour de l’écrit et de la lecture, OK toujours. Emerge doucement un minima d’accords et de valeurs communes. Alors on décide de faire une charte. Mais comme on n’y connaît pas grand chose, on se rapproche de ce qui se fait ailleurs, c’est humain. Là, des gens connaissent l’expérience du café associatif Les Augustes à Clermont-Ferrand, d’autres celui du Remue-méninges à Saint Etienne. On va voir, on prend contact, on s’inspire : tiens, il y a même une fédération des cafés culturels quelque part ! Très vite, le projet s’inscrit dans un cadre, celui de l’éducation populaire : «  on voulait permettre à des publics différents de se rencontrer. On voulait aussi mettre la culture à la portée de tous. Et donc proposer des activités gratuites dans la mesure du possible. ».

L’ADN de la Clef, l’itinérance, hors les murs… 

Il y a une période où la Clef n’est pas encore physiquement inscrit dans l’espace. Mais elle se prépare dans les têtes. Et se déplace. Durant presque deux ans, elle est itinérante et se déplace jusque chez l’habitant, tout entière tournée vers son objectif d’amener une certaine idée de la culture et de la convivialité là où sont les gens. Ce sont les granges, les fermes, les places de villages… Là, on profite à plein des réseaux autour de dASA ( association s’occupant de développement et d’animation dans le Sud Auvergne) membre du CREFAD ( centre de recherches sur l’éducation, la formation et le développement en Auvergne) pour lequel Xavier est salarié. On ne part pas de rien en somme… On fait feu de tout bois… On se construit tout un matériel mobile pour aller là où il y a besoin et on organise des concerts dans des caves de châteaux, dont la région regorge, qui n’avaient pas connu pareil charivari depuis Philippe Auguste, des pièces de théâtre avec des acteurs perchés sur des tracteurs, on organise des lectures dans des champs, les vaches à portée de voix, des concours de lettre d’amour à un agriculteur qu’on va déclamer dans les cours de ferme… Ca ne coûte pas grand chose si ce n’est de la bonne volonté et de l’huile de coude. Mais ça marche…

Un long fleuve tranquille ?

On arrive en 2009. Septembre. Les valeurs communes sont définies depuis le printemps, « les personnes qui ont lancé le projet ont réussi à regrouper leurs désirs et leurs perspectives personnels dans un projet commun » nous raconte Fabrice, les premières querelles inhérentes aux entreprises humaines presque digérées. Oui, parce qu’ici, il faut le rappeler, encore et encore, la bonne entente et l’harmonie universelle ne se décrètent pas, comme partout ailleurs, et surtout ne s’imposent pas d’elles mêmes, comme une loi de la nature ou une nécessité biologique. Et que, bien sûr, dés le départ, il y a des désaccords plus ou moins définitifs, des inévitables inimitiés, des accrocs, des essoufflements… Rien que sur la définition du mot culture, il faut reconnaître qu’il y a de quoi se fabriquer bien du désaccord par paquet king size. Sans rien dire de l’éducation populaire sur le mode : alors l’éducation va au peuple ou c’est au peuple de venir à la culture ? Umh !? De la belle tempête de cerveau à coup sur non !? On évoque de ci de là quelques crispations sur le sujet tout au long de l’histoire de la Clef. Il vaut donc mieux toujours garder à l’esprit qu’œuvrer à plusieurs, ici comme ailleurs, n’est jamais un long fleuve tranquille, fut-ce l’Allier ! C’est pas sexy je vous l’accorde, mais le savoir sans doute évite bien des doigts dans l’œil et des illusions qu’on a perdues avant de les avoir gagnées.

" C'est en cherchant du commun qu'on arrive à avancer ensemble"
Fabrice

Et le bar fut…

Mais revenons à notre huile de coude, il va en être beaucoup question encore. Parce qu’il ne suffit plus d’être à peu prés d’accord sur l’essentiel de ce qu’on veut faire. Il faut un lieu aussi, un espace physique pour permettre la rencontre. Puisqu’il n’est question que de ça au fond. Alors on cherche. Et on trouve. Il y aurait bien quelque chose rue de la Pardige, pas loin du centre ville, un garage et deux appartements au dessus. Mais il y a du boulot… Faut acheter d’abord. Comme on a pas de moyens, ce sera à plusieurs, on crée donc une SCI et on décide de partager les locaux à plusieurs associations : dASA, Télé regain, l’AFOCG, Acceuil Paysan..

Ecoutons Karine, une des fondatrices qui en était donc forcément de ces temps de menuiserie, de plâtre et de mal au dos, rue de la Pardige : « Oh la la, mais je ne sais même pas comment on a fait, on y allait les week-ends pardi. Quoi d’autre ? En plus, on retapait nos maisons à nous en général. Y avait des enfants en bas âge… Moi, j’avais ma fille.. On n’arrêtait pas en fait, quand j’y repense. Ca a duré deux ans. C’était qu’un garage au rez de chaussée. Et donc, on a tout fait : poser le carrelage, l’isolation, ouvrir des fenêtres, fabriquer le bar, l’installer, les étagères, la peinture, tout quoi.. Il y avait tout à faire… Et puis alors, assez vite, heureusement, on a fait venir des chantiers collectifs. On avait pas un sou… Enfin bon… Les salariés de dASA ont beaucoup aidé aussi.. Parce que, au début, on est vingt cinq et on est vite plus que cinq.. ».

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Des groupes de travail.

Parallèlement, ils trouvent encore le temps de créer des commissions de travail dont les intitulés disent assez bien les préoccupations du moment : recherche de financements parce que d’emblée ils pensent qu’il faut associer des salariés et des bénévoles pour pérenniser la structure, et puis, il y a un loyer à payer, un emprunt à rembourser maintenant qu’on est propriétaire ; travaux parce qu’il le faut bien ; programmation et animation parce qu’il va bien falloir faire vivre l’endroit, rencontre avec les institutions parce qu’il faut expliquer ce qu’on veut faire et que la Clef n’est, par nature, rien sans son environnement…

Quelques subsides arrivent.

Et là aussi ça marche : « Assez vite, des aides arrivent : même modiques, elles ont le mérite d’être là, c’est une reconnaissance aussi et ça fait du bien », nous raconte Karine, qui ajoute : «  beaucoup d’entre nous connaissions le café des Augustes à Clermont et ils nous ont bien aidé pour savoir à quelle porte frapper. Les gens de dASA aussi évidemment avaient aussi leur réseau. Si bien qu’assez vite, on reçoit quelques subsides qui permettent de voir venir, qui apportent un peu d’oxygène : la Fondation de France, le Fonds Social Européen, la Fondation du Crédit Coopératif, la région aussi.. 

La NEF est la seule banque à nous faire confiance. On apprend qu’on est éligible à l’octroi d’emplois aidés. On prend contact avec Pôle emploi et on crée un poste de coordinateur à temps plein : ce sera le mien. Plus tard. Et bientôt un autre de 26 h pour s’occuper des activités hors les murs, l’itinérance parce qu’il n’y avait pas encore de murs en fait : le bar était pas fini !!  Pour la mairie, c’était plus compliqué. On a pris des contacts bien sûr tout de suite mais l’accueil a été plutôt neutre au début. Ils se méfient un peu et je crois qu’ils ont juste décidé de nous tolérer. Ils ont mis cinq années à vraiment nous soutenir. Fallait qu’on fasse nos preuves sans doute… ».

En se promenant dans le quartier...

A deux, c’est mieux…

Très vite aussi, le réseau des cafés culturels suggère la nécessité de créer deux associations distinctes : une pour le côté  « commercial », le bar et la restauration, et l’autre pour les activités de la structure culturelle. Ce sera rapidement fait et ça s’appellera «  la plume de ma tante » côté culture et « le porte plume » côté bar-cantine. Cette dernière paye donc des impôts, cotisations et charges et ne peut donc être taxée de concurrence déloyale tout en conservant un but non lucratif. Et elle est la seule table à Brioude qui propose un menu bio et local tous les jours et même des tartines de produits frais le samedi matin, jour de marché autour de la basilique.

Les structures étant ainsi définies dés le départ, elles ne changeront pas et sont restées les mêmes jusqu’à aujourd’hui. Cela a permis à l’idée initiale de grandir, de s’affirmer et de s’inscrire dans le paysage brivadois. La presse locale suit le mouvement. De plus en plus. Le mouvement s’enracine. Ainsi pour la seule année 2017, ce sont pas moins d’une petite cinquantaine d’animateurs bénévoles qui ont réalisé une trentaine d’animations culturelles récurrentes à la Clef ; prés d’une animation, voire deux, par jour d’ouverture – au fait, si vous habitez pas loin, on accueille toujours les bonnes idées dans ces murs ! – , une dizaine d’animations itinérantes et/ ou extérieures tel que le bal Trad, la fête des beaux jours, une fête autour des jardins avec dASA et le CPIE du Velay qui s’appelle « on sème et vous ? », un marché de l’artisanat, une conférence gesticulée, des ateliers d’éducation populaire autour de la lecture et de l’écriture, la réalisation de courts métrages. On en passe..

Les activités ? Un inventaire à la Prévert…

Au total, c’est tout un réseau qui est mobilisé au service d’ateliers gratuits et ouverts à tous dans le pays de Lafayette, tout autour de Brioude. Sans compter des résidences d’artistes (annulée cette année) en partenariat avec l’accueil à la ferme et les structures scolaires et para scolaires. Tenez, faites vous une idée en lisant ce petit inventaire à la Prévert qui concerne seulement les activités récurrentes proposées au café : des ateliers langues, de l’anglais au patois en passant pas la langue des signes, des ateliers autour de la lecture et l’écriture, des cafés citoyens et d’échange de pratiques autour de l’habitat, de la philo, de la faune et d’un tas d’autres choses, des rencontres-loisirs autour de la musique, de la couture et du chant. On a même vu ici un truc qu’on a croisé nulle part ailleurs, le café-Tétée où des mères de famille, réunies en association ( « A lait coûte »), profitent des locaux de la Clef et viennent donner le sein (ou le biberon) à leurs rejetons tout en devisant autour d’un café et reprenant ainsi une coutume ancestrale d’aide aux mères allaitantes. Des trocs aux vêtements. Ca fait beaucoup au total. Et c’est sans compter sur toutes les activités plus ponctuelles et proposées par qui veut bien s’en occuper. A qui en a l’idée. Sans compter les concerts une ou deux fois par semaine.

Il faut donc gérer ce flux.  Et c’est pas peu de choses. Alors, pour ce faire, il y a toujours un poste de 26 heures hebdomadaires de coordinateur des animations qui est, à l’heure actuelle, occupé par Evelyne. Elle s’occupe aussi de la communication de l’association avec, de temps à autre,  quelqu’un qui fait son service civique. C’est souvent d’ailleurs qu’on croise des gens en service civique du côté de la rue de la Pardige : Aude en 2017 qui s’occupait de programmation et puis Vital début 2018… Il y maintenant, depuis un petit mois,  Lisa, qui vient d’Issoire et qui nous fait part de son étonnement initial devant la quantité d’activités proposées ici.

" On nous prenait pour des fous quand même..."

Il y a toujours un mais…

Alors ainsi présentée, c’est quand même une sacrée réussite non ? Sans aucun doute m’ssieurs-dames. Mais… Et oui, mais.. Il y a souvent un mais. Pas un long fleuve tranquille on l’a dit. Évidemment. Il faut dire ça aussi. Ne pas verser dans l’angélisme. L’aventure de la Clef reste d’abord et avant tout une aventure créée et vécue par des hommes et des femmes à peu près comme vous et moi. Il ne faut donc pas mésestimer les difficultés qu’ils ont traversées, celles qu’ils affrontent actuellement car leur entreprise n’en prend que plus de force, trouve t-on. Vous jugerez..

Alors, il faut d’abord comprendre que la Clef a réussi à s’inscrire dans la durée. Il faut saluer ceci car c’était pas gagné d’avance comme on dit : «  on nous prenait pour des fous quand même ! Quoi ? Un café lecture à Brioude. Déjà qu’à Saint Etienne ou Clermont, c’est pas facile... ». Et bien oui, c’est pas facile.

Il a d’abord fallu se mettre d’accord au sein du groupe formé là et c’est un premier écueil. Là comme ailleurs. Et là, comme ailleurs, on l’a déjà évoqué, c’est pas le plus évident. Accomplir ce travail solitaire : accepter les compromis, accepter les départs impromptus – on retient pas les gens dans le monde associatif : font ce qu’ils veulent, les gens, que voulez vous ! -, les inévitables incompréhensions, puiser donc dans ses capacités de tolérance, de patience, se dire que ça vaut le coup, continuer donc…

Et puis quand c’est fait – mais c’est sans doute toujours à reconstruire – il faut affronter le dehors, l’environnement pas forcément d’emblée bienveillant : l’indifférence de certains élus, les refus bancaires, la course aux subventions dés lors qu’on choisit d’avoir des salariés, des fonds qu’on attend et qui n’arrivent jamais, la méfiance du voisinage, voire sa franche hostilité, qui n’a pas manqué d’étonner, ça aussi, Lisa à son arrivée, surtout durant les concerts – qui marchent très bien par ailleurs – jusqu’à nécessiter une médiation avec la mairie, les agressions devenant parfois physiques !!

 » Constamment en train d’inventer des trucs… »

Mais il y d’autres choses. Qu’il faut dire. Le tableau est encore incomplet des difficultés rencontrées. C’est Karine qui a maintenant pris du recul et qui, évoquant son activité de coordinatrice, nous permet aussi de voir un peu plus derrière le rideau et la success story : «  Quand tu es salarié d’un truc comme ça, tu es ton propre chef en fait. Tout est à créer. Et ça peut être compliqué. Les salariés portent beaucoup de choses. On est constamment en train d’inventer des trucs et l’appropriation par les bénévoles est difficile à mettre en place. Je me suis vite retrouvée à faire des semaines de soixante heures. Un rythme dingue… J’apprenais plein de choses, ça, c’est sûr, mais je voyais plus ma famille… Il a fallu choisir… Et puis les gens avaient changé dans l’association. Certains cherchaient la culture avec un grand C. Ils cherchaient une qualité et je trouvais qu’on s’éloignait des valeurs de l’éducation populaire… J’ai eu besoin d’une coupure… Et puis certains lorgnaient un peu mon poste aussi. Alors je leur ai dit : prenez le… J’étais rincée, je crois bien. Et ça n’a duré que quelques mois en ce qui me concerne ! ».

 » Briser l’entre-soi… »

Bref, pas un tapis de roses là non plus. Mais il y a toujours quelqu’un pour prendre le flambeau. Dans le tableau, il faut aussi avoir à l’esprit que l’association connaît une première crise de croissance quand la quasi totalité des fondateurs – quatre ou cinq personnes en fait – s’en va d’un même mouvement parce que lassitude, parce que changement de région ou par choix… Et que donc une nouvelle équipe prend place et patine pas mal, avant d’amener un autre souffle. C’est Xavier Lucien qui stipule que ceci a été à la fois une difficulté et une chance pour les deux associations : «  Ca a permis de briser un certain entre-soi qui peut être sclérosant. D’autres idées sont arrivées… Au total ça a permis de garder la colère et l’énergie des débuts… Ca n’a pas été facile mais ça permet d’amener de l’oxygène. ».

Toujours là…

Ca n’a pas été facile certes. Mais enfin, les deux associations sont toujours bel et bien là. Le budget annuel avoisine régulièrement la centaine de milliers d’euros. Des milliers d’activités ont été proposées, rue de la Pardige ou ailleurs, tout au long de ces huit années. Les contacts avec le tissu associatif local ont été pérennisés. Des artistes sont régulièrement accueillis lors de résidences et proposent leurs savoir en partage avec les enfants des écoles ou centres de loisirs.

L’activité de restauration marche aussi très bien et propose quelques trente repas par jour en moyenne. Ici, le principe retenu consiste à associer, chaque fois que possible, un salarié avec un bénévole pour faire tourner la boutique, c’est à dire qu’il faut prévoir les courses, faire la cuisine et servir. Du mardi au vendredi. Repas complet le midi et tartinerie le soir. Pour moins de dix euros. Aujourd’hui, une trentaine de bénévoles ont pu être formé à la gestion et l’animation du lieu. Le bar se veut aussi un moyen d’éducation culinaire et alimentaire. On peut y trouver du bio, du local, du sans gluten, du vegan, du végétarien, c’est selon : « on continue de proposer des produits et des boissons alternatifs ». Régulièrement, des équipes se constituent pour refaire la déco, des étagères, des peintures… C’est Jocelyne qui en est la salariée actuelle et qui a donc toutes les chances de ( bien) vous accueillir quand vous irez voir par vous mêmes.

Et ainsi, un modèle économique a fini par émerger au bout du compte faisant de la gratuité des activités proposées une règle jamais démentie – vous avez dit éducation populaire ? – et une activité payante au bar et à la cantine qui peut se suffire à elle même et qui pourrait permettre de financer notamment un 2/3 d’équivalent temps plein.

D’une crise à l’autre…

Et c’est pas peu de chose. Car elle a toutes les chances d’être bien utile, cette capacité d’auto financement. Parce qu’on arrive à la deuxième grande crise de l’association. Xavier Lucien parlait pour la première de crise de maturité. Celle-ci est de nature différente. Et actuelle. Très actuelle. Puisque induite par l’oukase macronien de cesser les financements des contrats aidés pour l’ensemble (ou presque) du monde associatif. Et en tous cas des deux qui nous intéresse ici. le coup est rude en tous cas, parce que c’est tout un modèle patiemment construit qui s’effondre et il faut d’urgence en trouver un autre. Qui soit pérenne.

C’est ce à quoi réfléchissent depuis cet été les acteurs concernés par la continuité de ce qui est proposé rue de la Pardige et au delà, sur l’ensemble du pays brivadois. Des questions aussi fondamentales de l’ouverture du bar-restau, de la conservation des salariés, et concomitamment de la place des bénévoles, de la restriction horaire ou des activités proposées sont ainsi posées sur la table et réfléchies de concert.

A force d’excitation de méninges, pas mal de nuits écourtées, quelques certitudes émergent peu à peu : sur l’impossibilité financière de conserver les trois emplois (même à 26 heures chacun) et sur la volonté réaffirmée très fortement de poursuivre l’aventure. Une fois posé que la fréquentation ne faiblit aucunement et fait, bon an mal an, ces cinq mille entrées, les administrateurs de Porte-Plume (au nombre de cinq en collégialité : on n’a pas le culte du chef ici !) réfléchissent donc à des scénarios possibles et entendent les discuter avec l’ensemble des adhérents ( près de quatre cent qui ont payé une cotisation à prix libre) qui seraient concernés. Ils organisent des après-midi d’échanges pour cela et ont convoqué une assemblée générale extraordinaire mi novembre pour cela.

"Tout est à créer. Et ça peut être compliqué."

Période charnière donc.

C’est ce qu’ils disent tous : « on est à une période charnière ». Ce qui est certain, c’est que chacun a envie que les valeurs de partage et de convivialité continuent de vivre au sein du café et de ses activités dans et hors les murs.. Certaine aussi la continuité de la gratuité des activités proposées qui ne semble pas devoir être négociée tant c’est l’identité du lieu et du mouvement. Alors, reste la question lancinante des moyens. On n’est pas en mesure à l’heure actuelle de vous dire ce qui va exactement se passer pour le Porte plume et la plume de ma tante. On va suivre tout ça évidemment. Mais, à vue de nez, on pourrait se diriger tout droit vers une continuité en mezzo voce avec un recours accru au bénévolat et peut être des horaires d’ouverture redéfinis. En tous cas, vers un autre modèle économique. Une autre certitude cependant : on ne pourra pas faire autant avec moins. C’est une loi de la physique qu’on peut appliquer parfois au monde social. Sauf à compter sur un recours accru au bénévolat. Et pourquoi pas ? C’est un cadre de discussions en tous cas…

Lors de l’assemblée générale extraordinaire, organisée courant novembre, c’est justement de tout ça dont il a été question. Mais il faut imaginer le désarroi palpable de tous devant les décisions à prendre et, en premier lieu, le possible licenciement de salariés de la part de personnes que rien ne prédestine, ni ne prépare à ça. Alors, les traits sont tirés ce soir là, les visages pales… Un dialogue pris dans la tempête calme de cette soirée résume bien le dilemme nous a t-il semblé. Quelqu’un, dans l’assistance :  » mais alors, si on fait comme dans le monde économique normal, en quoi est-on différent ? ». Quelqu’un d’autre lui répondant :  » mais a t-on le choix ? ». A l’aune de ces courtes remarques, deux parmi bien d’autres, on comprend peut être mieux les difficultés de tous face à cette nouvelle donne. Peut être comprendra t-on aussi un peu mieux la profondeur des motivations de tous, qui étaient là ce soir là… Ils étaient une bonne quarantaine à se coltiner avec ces questions où il n’existe pas, où il n’existera jamais de bonnes solutions. Une bonne quarantaine qui entendent donc que l’aventure perdure, qui pensent que ça vaut le coup malgré tout…

Mais le coup est rude pour tous… Ca se voit et ça s’entend…

Parce que, comme nous le rappelle Evelyne qui s’occupe de la communication du lieu, l’environnement autour du mouvement associatif dans son ensemble est difficile aussi : ainsi, les subventions et leur renouvellement sont devenues un vrai maquis et il faut sans cesse être à l’affût ou alors elles sont corrélées avec des activités ou des projets précis qu’il faut bien porter, tant et si bien qu’il faut quelqu’un pour s’en occuper quasiment à plein temps. On arrive ainsi à un espèce de paradoxe qui fait qu’il faut quasiment salarier quelqu’un pour trouver des subventions susceptibles de payer… son salaire… A vous de vous débrouiller avec ça. C’est une insécurité permanente.

Alors, par la force des choses, il va être impérativement question, dans les semaines à venir, de réfléchir à ce qu’on veut faire rue de la Pardige et comment et avec qui. Redéfinir un projet presque dans ses modalités pratiques tant il paraît certain que personne n’entend renier les valeurs fondamentales qui ont fondé et accompagné cette histoire commune. Valeurs qui prennent racine dans une volonté de partage le plus large possible et où donc la gratuité occupe forcément une place centrale… Histoire qui a su, jusqu’ici, se renouveler dans le temps et ses aléas. Cette dernière épreuve serait la dernière ? On n’y croit pas vraiment. Pour pouvoir continuer à être ce défricheur qui fait dire à Karine « quand même, on en a ouvert des champs du possible »... Et créer, comme dit joliment la brochure de présentation, un espace où « se donner les moyens de l’échange, se faire connaître les uns aux autres et ainsi de créer toujours, de nouveaux rêves d’ici pour ici.. ».