ceux qui ont fait, ceux qui continuent..
Les organisations
Comité SOS Loire Vivante : premier rassemblement des opposants au barrage de Serre de la Fare, en Haute Loire. Créé par Jacques Adam, éducateur, membre des Amis de la Terre, au Puy en Velay en 1988. C’est le comité qui lance les premiers recours juridiques, organise les premières réunions publiques, décide des premières pétitions lors de l’enquête d’utilité publique, met sur orbite la première manifestation dans les rues du Puy en Velay en Octobre 1988. Où se décide et se lance l’occupation du site de Champ Bourray, près de Serre de la Fare ainsi que la décision de présenter une liste aux municipales de Mars 1989. Peu nombreux mais hyperactifs : un noyau dur d’une trentaine de personnes déterminées. Qui peuvent compter sur les expériences de Michel Soupet et Jacques Adam, ancien des luttes contre le barrage de Naussac ou sur le supergénérateur de Creys-Malville. Et puis très vite, Jacqueline et Martin Arnould, Régine Linossier, François Fabre et Edouard Bor portant les premières estocades. D’autres encore : Michel Barlet, Philippe Lhort, Jérome Leyre, Jacques Grimault décident de planter une tente sur le site un beau matin de février 1989, changeant la nature de la lutte en marquant une détermination sans retour. Ce sont eux qui seront le coeur battant de la lutte en train de prendre de l’ampleur au niveau local. Avant de prendre un nouvel essor dans les mois qui vont suivre.
Comité Loire Vivante : comité créé au Puy en Velay ( décidément !) en 1986 à l’initiative de fédérations et d’associations de protection de la nature regroupées tout au long de la Loire telles la Frane ( Auvergne) , la Frapna en Rhône-Alpes, Nature Centre à Orléans ainsi que la FFSPN (fédération française des sociétés de protection de la Nature devenu le FNE – France Nature Environnement -) et le WWF, partenaire incontournable dés l’origine.
Organisé actuellement en cinq comités tout au long de la Loire : Loire Vivante Nièvre Allier Cher, Loire Vivante Touraine, Loire Vivante angevine, Loire vivante Estuaire, coordination assurée par SOS Loire Vivante au Puy en Velay. De 1987 à 1999, la coordinatrice du réseau est Christine Jean, biologiste de formation. L’association recevra le prix Goldman en 1992 pour l’ensemble de son travail sur la Loire.
SOS Loire Vivante : association créée à l’automne 1989 au Puy en Velay au sein du comité du même nom et à l’initiative notamment de Roberto Epple. Jean François Arnould est le premier président. Suivi de Jean Claude Arnulf, André Pellissier et Roberto Epple lui même. Elle deviendra SOS Loire Vivante – ERN France en 2007. Son siège, depuis 1989, est au 8 de la rue Crozatier au Puy en Velay. Elle est actuellement présidée par R. Epple, dirigée par Simon Burner et emploie une dizaine de personnes tout au long du bassin de la Loire. Elle dispose d’un budget annuel d’environ un demi million d’euros ( chiffres 2018). Elle est habilitée, sur la base de son nombre d’adhérents, à participer aux débats nationaux et régionaux dans les instances ad hoc sur la gestion de l’eau.
ERN France : Européan Rivers Network. Association créée à l’initiative de Roberto EPPLE en 1994 qui en devient le président. Le secrétariat est assurée par SOS Loire Vivante. Cette dernière s’occupe de la France et ERN en est le volet international. Membre du réseau mondial IRN, il en assure la partie européenne. A l’initiative du Big Jump ( journée de baignade dans une eau de qualité), de la mise en place du label Rivières Sauvages et du RIFM ( rivières d’images Fleuve de mots) à destination des plus jeunes. Il œuvre aussi à la promotion du réseau « Rivières sauvages » à la fois label et instrument de gestion des eaux vives, associés à un fonds de conservation, sur le modèle économique hérité des modes d’action et coutumes du WWF, co-fondateur du projet. Son siège est aussi au 8, rue Crozatier au Puy en Velay.
FNE : France Nature Environnement. Ex FFSPN (fédération française des sociétés de protection de la nature) représente prés de trois milles associations, est reconnue d’utilité publique et membre du Bureau Européen de l’Environnement (BEE), sorte de lobby européen des associations et de ceux qui se préoccupent des relations durables entre les hommes et ce qui le entourent. Revendique des milliers d’adhérents répartis entre 15 associations nationales, 44 délégations de territoire et 11 associations partenaires. Ses missions : » fédérer, informer, défendre, influencer, sensibiliser… » assurées par une cinquantaine de salariés et des centaines de bénévoles. Le budget est d’environ 4 millions d’euros pour 2019 dont la moitié de subventions publiques (sources : site internet FNE). Présidée par Bernard Rousseau de 1999 à 2004.
Frapna : fédération Rhône-Alpes des associations de protection de la nature. Monique Coulet (directrice d’un laboratoire d’hydrologie à l’université Lyon II) en assure la présidence en 1989. C’est elle qui, lors du rassemblement européen de 1989, lance « un fleuve, c’est un écosystème, un tout, qu’on ne peut pas saucissonner sans atteindre son équilibre ». Idée fondamentale chez les opposants au barrage. Elle la précise encore dans une interview donnée à l’Expresse en 2010 : «Les cours d’eau, il s’agit de véritables systèmes vivants qui fonctionnent grâce aux relations entre l’amont et l’aval, entre fleuve et affluents, entre chenal principal, bras secondaires et bras morts, entre cours d’eau, forêt alluviale et nappe phréatique. L’agent de liaison de tous ces éléments, c’est l’eau, comme le sang dans le corps humain». Et pour ( presque) tout savoir sur la pensée fondamentale de cette femme qui a consacré toute sa vie à comprendre la mécanique des fleuves, vous pouvez aller voir par ici : http://www.clac-info.fr/sites/default/files/Fleuves_sources_de_vie_Monique_Coulet.pdf;
Nature Centre : Ex FRAPEC. fédération orléanaise regroupant 18 associations et agréée pour représenter la défense de l’environnement dans la région Centre. Elle est dirigée par Bernard Rousseau, physicien du CNRS, dans les années quatre-vingt. Membre du FNE. Pour mieux connaitre cet acteur incontournable qui deviendra président du FNE, il existe une émission de France Inter dont vous avez les coordonnées ci après : https://www.franceinter.fr/emissions/co2-mon-amour/co2-mon-amour-10-mars-2012.
SEPNB : Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne. Dirigée par Jean Claude Demaurs, zoologue, dans les années « folles ». Association agréée pour la défense de l’environnement et membre du FNE. Jean Claude Demaurs deviendra adjoint au maire de Nantes dans les années 1989 – 2001 et conseiller régional élus sur une liste Génération Ecologie / AREV. Pour lui : « L’eau et les milieux aquatiques sont ma seconde nature, la Loire appartient désormais à ma culture ». Il aura un rôle d’interface précieux lors de la bataille de Donges/est. Il est décédé en 2016. On lui rend hommage dans le bulletin de SOS : « Jean-Claude a contribué à nous faire comprendre l’importance de l’estuaire de la Loire et la nécessité de sa restauration, mais s’est aussi engagé à nos côtés pour sauver la Haute Vallée de la Loire. Jean-Claude a ainsi participé de bien belle manière à la magnifique et victorieuse aventure qu’a été celle de Loire Vivante jusqu’en 1994. Plus tard il était encore là, quand il a fallu sauver l’estuaire en écartant définitivement le projet de Donges-Est, dans les années 2000″.
FRANE : fédération régionale d’Auvergne pour la Nature et l’Environnement basée à Clermont Ferrand.
EPALA : Etablissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents. Fondé par Jean Royer en 1984 dans l’objectif d’aménager le cours de la Loire afin d’assurer un soutien d’étiages et d’en écrêter les crues, il regroupe et représente six régions, 19 départements, une vingtaine de métropoles. C’est un modèle unique à l’époque de gouvernance à l’échelle d’un bassin hydrologique. Il signe en 1986 un protocole avec l’Etat et l’Agence de l’eau pour aménager le cours de la Loire, c’est à dire y construire quatre barrages : Serre de la Fare sur la Loire, Chambonchard sur le Cher, et Naussac II et le Veurdre sur l’Allier ainsi que la construction de kilomètres de digues. Le budget prévu s’élève à près de trois milliards de francs de l’époque. Il devient l’Etablissement Public Loire en 2007 et le garant de la mise en place des plans Loire qui se succèdent depuis 1994. Il est présidé par Jean Royer, député-Maire de Tours, jusqu’en 1995. Puis par Eric Doligé, sénateur UMP et président du conseil général du Loiret de 1995 à 2005. Régis Thépot ( voir interview plus loin dans ce même dossier) en est le directeur adjoint jusqu’en 1996 sous la houlette de Joseph Picard puis le directeur jusqu’en 2007 où il rejoint l’établissement public de la Seine.
Agence(s) de l’eau : au nombre de six à l’échelle de la France, elles sont des établissements publics représentant sur les bassins hydrologiques le ministère de l’environnement. Au nombre de sept sur le territoire national, elles mettent en œuvre les objectifs et les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE, plans de gestion français de la politique française sur les bassins et leur déclinaison locale, les SAGE) ainsi que l’application de la directive cadre européenne sur l’eau .
WWF : World Wildlife Fund. Fondation née en 1961 de la rencontre de volontés de gens fortunés à gros entregent qui entendent créer des réserves naturelles partout autour du monde ( pour pouvoir y chasser à leur aise notamment). La fondation au panda regroupe actuellement six millions d’adhérents et soutient des milliers de projets de défense de l’environnement à travers le monde. Sa politique générale a donc considérablement évolué au cours de son histoire et notamment durant les années quatre-vingt. Ainsi, de naturaliste stricto sensu – se consacrant à la défense du panda et la création de zones vierges, les fameux parcs naturels – elle est devenue le fer de lance d’une vision plus environnementaliste et met en avant davantage la place de l’homme dans la nature. Sa campagne internationale pour la protection des eaux douces, initiée au milieu des années quatre-vingt, s’inscrit dans ce cadre et se concrétise d’abord par la création de l’institut des plaines alluviales, à Rastatt, dirigé par Edith Wenger, sorte de société d’études spécialisée dans les questions hydrologiques. Son expertise sera précieuse dans les batailles scientifiques autour du bien fondé des positions des uns et des autres.
La version française, le WWF France a été créé en 1973. La structure française est présidée actuellement par la navigatrice Isabelle Autissier et dirigée par Pascal Canfin. WWF France revendique 220000 adhérents. Et peut compter en 2018 sur des ressources s’élevant à près de 14 millions d’euros dont 80 % provenant des dons de particuliers ou d’entreprises (source : site internet WWF France). Il est dés le début associé à la création de Loire Vivante et finance notamment le poste de Christine Jean, coordinatrice du réseau. Ainsi que celui de Roberto Epplé sur la période 1989-1994. La fondation est souvent partenaire d’actions menées en commun avec SOS Loire Vivante / ERN : programme Rivières Sauvages, projet de parcs naturels en haute vallée de la Loire, projet de réserves de biosphère sur les trois sources Allier/ Loire/ Ardèche…Bref, il est incontournable..
Robin des Bois : Association fondée en France en 1985 par des pionniers de la défense de l’environnement. Déclinaison là encore de l’association internationale « Robin Hood ». C’est Martin Arnoudt qui contacte Pascal Bonnemaison, le président de l’époque, pour lui demander son aide. Parce que ses militants sont spécialisés dans les initiatives spectaculaires et habitués à ce genre de confrontation. Elle intervient à Serre de la Fare dés les débuts de l’occupation afin d’arrêter les premiers engins. Son expérience est précieuse dans les premiers moments de confrontation directe. La banderole « Loire Vivante » sur la Vierge qui domine la ville du Puy, c’est aussi eux. Robin des Bois a pour objectif la protection de l’Homme et de l’environnement par toutes formes de réflexion et d’actions non violentes.
Et tant d’autres… Compagnons de route, d’un bout de chemin et même de sentiers de traverse… tout au long de cette triple décade un brin agitée le long de nos cours d’eau si tranquilles.. qu’ils soient pêcheurs, naturalistes, paysans, ingénieurs, électriciens, paysans, amoureux des rivières, randonneurs et on en passe…
Des hommes et des femmes
Roberto Epple : une vie au service des fleuves et rivières sauvages
Campain Officer pour le compte du WWF international au moment où l’Epala dévoile ses projets pour la Loire, ce suisse né au lendemain de la seconde guerre mondiale est hydrobiologiste de formation, et, à ce titre, travaille d’abord notamment au sein de firmes des secteurs du textile ou la chimie, autant dire à peu près l’antéchrist dans les milieux environnementaux. Il commence quand même à militer contre la construction de centrales électriques dans les Alpes Suisses et participe à une lutte contre la noyade d’une forêt à Hainbourg sur le Danube dont il fait un film – « Resistance on the river » – primé dans quelques festivals au mitan des années quatre-vingt.
Notre homme est ainsi devenu depuis bien longtemps le cauchemar de tous les bétonneurs de fleuves, qu’ils soient élus, techniciens, ingénieurs, tous ceux que produisent à gros robinet nos supposées « grandes écoles » de la méritocratie républicaine ou autres élégantes « High School ». C’est le cas en France bien entendu mais c’est aussi vrai partout dans le vaste monde tant il est vrai que notre bonhomme, polyglotte et inlassable défenseur des eaux vives, poursuit son travail de fourmi au service des fleuves commencé sur le Danube, continué sur la Loire depuis trente années maintenant et a exporté son savoir aux quatre coins de la planète, du Brésil à la Russie en passant par l’Espagne, la Turquie et on en passe…
La stratégie du rhizome….
Un travail de sape tout d’abord, appuyé sur la logistique et l’entregent du WWF international et de la pensée scientifique accumulée autour de notre utilisation de l’eau et de ses ravages, d’une certaine doxa décisionnaire héritée d’une longue histoire de domestication de la nature liée notamment à la construction des barrages. Dont il convient aussi de prendre l’exacte mesure des services qu’ils rendent à notre modèle de développement en terme d’irrigation, de gestion de l’espace disponible pour l’homme, de production d’énergie. Ainsi, il y a une sorte de dieu Janus en chaque barrage, détruisant d’un côté ce qu’il permet et autorise de l’autre (sinon la partie serait trop facile sans doute !). Il faut avoir conscience de ceci pour bien prendre la mesure de la puissance et en quelque part, de la légitimité dont se parent les lobbies intéressés au domaine depuis les centrales nucléaires qu’il faut bien refroidir une fois qu’elles sont construites jusqu’aux grands céréaliers des plaines dont il faut bien arroser les champs une fois qu’ils sont plantés, en passant par de nombreux élus locaux avides d’espaces gagnés sur le cours des rivières et fleuves pour leurs projets d’aménagement urbain. Et bien sûr que ça finit par faire du monde. Avec de la force de frappe. Et non sans une certaine logique, il faut bien dire aussi. Où la technique se présente naturellement comme étant au service sui generis du développement économique et du confort moderne. Cette logique, c’est celle de la mise au service de la nature au profit des hommes (ou de leur mégalomanie ?) et du système de production économique, base de la prospérité des sociétés contemporaines dites développées. Il faut garder tout ceci en tête pour bien comprendre ce à quoi vont s’attaquer les défenseurs de la « sauvagitude » des fleuves
Mais Roberto n’a pas seulement, loin de là, mené un travail de destruction des arguments et des réalisations des adversaires qu’il avait et qu’il a toujours devant lui. Il a également largement fait œuvre de bâtisseur tant il est vrai que, sur la Loire au moins, à l’occasion de ces trente années de lutte tout azimuts, une autre vision de la façon d’aménager un fleuve, portée par une autre philosophie du vivant, une vision alternative des relations entre l’homme et son environnement, a commencé à pointer d’abord un bout de narine et puis a fini par prendre toute la place disponible à grands coups d’épaule quand il a fallu. Cette vision qu’il porte depuis tant d’années a maintenant acquis de solides fondements intellectuels, elle a ses défenseurs acharnés, ses réseaux dédiés au niveau international qui n’en finissent pas d’essaimer. Comme un rhizome. Ou un lierre, plante vivace capable de s’accommoder de bien des difficultés.
1989…
Roberto se trouve donc à l’épicentre de ce séisme que le combat pour la Loire vivante a initié au niveau international. S’en doutait-il en débarquant un beau jour de l’Automne 1988 dans la bonne ville du Puy en Velay accueilli par un François Fabre et Edouard Bor qui lui offrent tout de go, dés sa descente de train, un verre de liqueur de verveine, la spécialité locale ? S’en doutait-il encore quand il est revenu sans tarder avec son désormais légendaire mini bus rouge Volkswagen, parti depuis longtemps au paradis des camions, qui lui sert tout à la fois de bureau, chambre et moyen de transport et qui restera près de cinq années stationné au champ Bourray ou qu’on verra sur tous les points chauds initiés par la lutte ? Lui, il nous dit trente ans après, en nous recevant chez lui, une petite maison, une ancienne ferme, un corps de bâtiment sise à une grange, construite toutes deux avec les pierres noires d’ici, qui lui permet de veiller encore et toujours sur la Loire, qui passe en contrebas, parce qu’on y revient toujours : « Oui, j’ai senti assez vite la possibilité de gagner ici. Ce n’était pas une priorité du WWF au départ, on pensait plutôt au Veurdre, ou Chambonchard, mais ici, il se passait quelque chose à l’évidence ». Il est dés lors évidemment dans les premiers à occuper le site au début du mois de février 1989. Et bon dieu, il est froid ce mois ! Mais tant pis, ils sont déjà une poignée à y planter une tente, dés la DUP ( déclaration d’utilité publique) signée malgré une marée de remarques négatives, et on verra ce qu’on verra. En attendant, c’est coup pour coup : Philippe Lhort, Jérome Leyre, Jacques Grimaud, Michel Barlet sont parmi les premiers à se geler les miches, d’abord au bord de la petite route longeant le fleuve qui n’est encore qu’une rivière quand il n’est pas gorgé des pluies cévenoles. Et puis au bord de l’eau dans une clairière de pins de ce qui va vite devenir le site le plus visité de Haute Loire, le Champ Bourray, près de Serre de la Fare.
Roberto, en ce début d’année 1989, sait sans doute déjà que c’est là que va se jouer beaucoup du futur du fleuve. Sait aussi que l’adversaire, malgré son apparente puissance de feu, est fragile parce qu’il se croit fort justement : « Nous, on avait le cœur, c’est difficile à contrer ça ; tandis qu’en face, ils avaient des ingénieurs, avec une réflexion d’ingénieurs, de la technique. Or, la technique ne parle pas aux gens. Le saumon, si... ». Parce qu’il y a là aussi une mobilisation d’une intensité qu’il n’y a pas ailleurs, à Chambonchard ou au Veurdre. Or, il n’amène pas que son camion, sa barbe et son accordéon, bref toute une bonhomie qui est aussi sa marque de fabrique, il a aussi avec lui des moyens financiers, ceux du WWF, un carnet d’adresse international et surtout une stratégie, tant il est vrai que les premiers acteurs de la mobilisation, sous la houlette de Jacques Adam, militant des Amis de la terre et ancien de la lutte contre le barrage de Naussac sur l’Allier, ont, tout au long de l’année 1988, surtout constamment paré au plus pressé. De là à élaborer une stratégie en bonne et due forme sur le long terme… Il réussit à convaincre les instances dirigeantes du WWF international d’investir à Serre de la Fare et il est écouté : il y aura bel et bien une campagne de quatre ans au moins, des moyens donc ; parce qu’il « Il faut mettre le paquet sur le premier barrage pour que tout s’écroule comme un château de cartes ». En effet, stratégiquement, Roberto a d’abord l’intuition que l’affaire va durer longtemps et que, ensuite, que tout ne va pas se jouer là, près des sources du fleuve et qu’il faut absolument exporter le mouvement partout sur la Loire, relier les différents mobilisations entre elles (réunies sous l’étiquette Loire Vivante depuis 1986) et ainsi internationaliser le mouvement autant qu’il est possible.
Roberto va donc devenir l’homme au camion rouge et aux fax, installés trés tôt dans un local loué dés février, rue Crozatier, au Puy. C’est Michéle Arnulf qui a eu vent de la possibilité de louer trois petites pièces. Des fax, une bonne dizaine, « les premiers en Haute-Loire » nous raconte Roberto, en ces temps où le Web n’est utilisé que par quelques militaires, installés très vite pour mieux communiquer avec le reste du monde. Il faut aussi institutionnaliser le mouvement, créer une association pour mieux gérer les forces centrifuges à l’intérieur de la mobilisation, exporter le mouvement, chercher des alliés, « il fallait penser global et agir local comme le veut le vieil adage… Jacques Adam pensait avec ses tripes, c’est important bien sûr, parce que s’il n’avait pas été là… mais ça ne suffit pas si on veut durer. Il y avait trop d’orientations diverses dans le comité, c’était bordélique. Et si on veut durer, il faut s’organiser». C’est ainsi que Roberto va chercher un professeur de français, la respectabilité faite homme, en la personne de Jean François Arnould ( voir entretien plus loin), dont la femme, Jacqueline, ainsi que le fils Martin (voir aussi portrait plus loin) militent déjà, et plutôt deux fois qu’une, au sein du comité. Jean François qui hésite un moment, qui n’aime rien tant que la compagnie de ses livres, s’occuper de son jardin et tremper ses pieds dans la Loire aux beaux jours, se laisse gagner par l’euphorie des premiers coups gagnants : les municipales de Mars 1989, la manifestation européenne de mai. C’est ainsi également qu’on va chercher très vite et trouver le soutien des pêcheurs, le saumon servant de trait d’union avec, en outre, une charge symbolique difficile à contrer dans la bataille de la communication qui s’annonce autour du barrage. Le saumon, comme le panda, est en effet un chargeur symbolique extrêmement puissant dans les esprits de beaucoup… Un coup tactique génial en somme que les opposants vont jouer à fond. Si bien que la fédération de pêche de Haute Loire, emmenée par Camille Soleihac, va amener toute la puissance des fédérations de pêche : en Haute Loire, c’est cinq mille adhérents, beaucoup de moyens et d’entregent politique. Les pêcheurs sont donc choyés par tous les bords politiques, c’est une règle intangible. Les écolos ou assimilés tels par le grand public, pas forcément.
Et grosso modo, Roberto ne déviera pas de cette ligne de recherche de soutiens et de partenariats jusqu’à la reddition complète de L’Epala au mois de Janvier 1994 dans le bureau de Michel Barnier, alors ministre du gouvernement Balladur, où Serre de la Fare est officiellement abandonné. Après 1887 jours d’occupation au Champ Bourray.
Et tout au long du tourbillon, Roberto sera indéfectiblement là. Un peu comme, aux yeux de beaucoup, un phare dans la tempête. Comme, dans l’esprit de beaucoup d’autres, un empêcheur de tourner en rond, et même un sacré emmerdeur pour tout dire ! S’attirant à ce titre autant d’admirations profondes que de solides inimitiés, et parfois par les mêmes, mais cela semble glisser sur le cuir de ce suisse tanné par tant de batailles comme les embruns sur le vieux ciré jaune du baroudeur des mers. C’est d’abord un guerrier, Roberto EPPLE, quelqu’un dont la priorité n’est pas tant de plaire que d’entraîner. Ecoutons-le de ce point de vue : « on peut aller très loin si on marche tous dans la même direction, on ira moins vite peut être mais on sera difficile à arrêter ». Tant il est vrai aussi que, pour lui, ce qui semble importer plus que tout, c’est bien la continuité de la vie autour des fleuves à laquelle il a consacré toute sa vie. Laissant par là-même un sacré héritage aux générations qui arrivent.
Après 1994…
Après 1994 s’ouvre une autre histoire donc. La victoire est totale sur la Loire et elle est d’abord intellectuelle. C’est une autre époque qui s’ouvre : celle des plan Loire qui se succèdent. Dorénavant, ce sera des » Plan Loire Grandeur Nature ». Rien de moins. Il s’agit donc bien là d’une autre philosophie des rapports de l’homme et de la nature qu’il s’agit maintenant de mettre en musique. Puisque les aménagements préconisés par la force publique sur le cours de la Loire, et notamment à Brives Charensac en premier lieu, dans le cadre du premier Plan Loire, sont le résultat direct des propositions forgées et portées coûte que coûte par les opposants au barrage. Ceci aura même tendance à faire jurisprudence sur le plan national (avec la Seine en particulier) et international.
Sur un plan personnel, Roberto décide de s’installer dans la région. Il y demeure toujours. Il décide d’essaimer aussi et d’apporter son expertise en d’autres endroits du globe. Il crée pour ce faire une structure ad hoc, ERN pour European Rivers Network qui fait du conseil aux ONG ou structures publiques intéressées à la question de l’eau et de son utilisation et aménagement. SOS Loire Vivante est plus que jamais bel et bien là, dans de nouveaux locaux mais toujours sise au 8 de la rue Crozatier, un étage plus bas. Elle emploie pas loin d’une dizaine de personnes tout au long du fleuve qui veillent sur sa bonne santé et qui sont toujours prêt à partager leur expertise. Presque une bonne quatre vingtaine de personnes y ont amené et acquis des compétences tout au long de son histoire trentenaire. C’est presque un lobby en bonne et due forme luttant pour une eau vivante, dans le respect de la continuité écologique et des éco-systèmes fluviaux. Et un lobby doit montrer ses muscles, c’est dans l’esprit du jeu : SOS revendique toujours un matelas de prés de deux mille adhérents et un budget annuel tournant autour du demi million d’euros. Mais un lobby qui entend tirer sa force du soutien populaire et de son expertise à défaut des chiffres d’affaire et de sa puissance économique. Et qui donc se voit tenu de batailler encore et toujours pour sa reconnaissance par les pouvoirs publics, les élus et les partenaires.
Et c’est toujours loin, très loin d’être… un long fleuve tranquille… C’est même une constante bien établie.. tout comme la détermination des défenseurs des eaux « sauvages » et » vivantes »… Alors, toute cette histoire n’est pas prêt de finir…
Parce que si, pour beaucoup, cette lutte a commencé et s’est arrêtée avec les concrétisations du premier plan Loire, et notamment avec l’aménagement de Brives-Charensac, Pour le «garde suisse» des fleuves sauvages, tout ceci marquait plutôt le début d’une histoire, un récit différent tant il est vrai qu’on peut réellement se demander jusqu’à quel point les philosophies du vivant et du vivre ensemble – qu’est-ce d’autre au fonds ? – qui se sont affrontées à propos de la question du barrage, sur la Loire comme ailleurs de par le vaste monde, sont perméables l’une à l’autre. Gageons en tous cas que la bataille est loin d’être terminée. » Des kilowatts ou des saumons » : les slogans simplifient souvent une réalité où le compromis de Poutés-Monistrol ( ce sera finalement des kilowatts ET des saumons !) a mis vingt ans à émerger ( comme on vous le raconte dans SOS Loire Vivante II : https://lescarnetsdecir.fr/sos-loire-lenracinement-1994-2019/).
Une passion couronnée…
Dans ce cadre, Roberto sera le lauréat du prestigieux prix Euronatur 2018, attribué pour une contribution exceptionnelle à la conservation de la nature, pour l’ensemble de son œuvre sur les cours de la Loire et de ses copains fleuves partout, plus précisément parce que « La passion de Roberto Epple dans ses efforts pour les paysages fluviaux d’Europe centrale est exemplaire pour notre travail de conservation et nous encourage également à ne jamais abandonner, même si l’adversaire semble trop fort. Avec son amour indéfectible pour les rivières, il est un exemple inspirant pour nous »
Lui nous raconte encore, depuis sa terrasse tranquille veillant en surplomb un bout de Loire, le fleuve resté sauvage, que la bataille pour l’arrêt des grands ouvrages sur le cours des fleuves est sans doute gagnée en France, mais aussi en Europe. Il s’agit maintenant d’en démolir certains, comme on a commencé à le faire à Maisons Rouges, à Saint Etienne du Vigan, sur la Sélune en Normandie. Il s’agit aussi de créer une autre culture du vivre ensemble au bord des fleuves, dans les bassins concernés, s’organiser avec eux et non contre eux. C’est vrai de la prévention des crues bien sûr, mais ce doit être aussi vrai aussi de la façon de les intégrer dans nos économies. C’est pour ça qu’il consacre toujours tant d’énergie à la transformation du barrage de Poutés sur l’Allier (voir vidéos ci-dessus) pour permettre le passage des saumons de l’Atlantique vers leurs frayères ; à réfléchir et faire réfléchir à ce que le collectif pourrait faire dans les vingt prochaines années et à créer une réserve de biosphère dans la Haute vallée de la Loire, le projet MAB. Parce que l’eau, c’est tout un tas de choses à la fois, c’est la biodiversité, l’agriculture et comment on produit de la nourriture, comment on se déplace, comment on crée de l’énergie, comment on occupe l’espace…. Pas des petites questions donc… Une autre façon de dire qu’il y a encore et toujours du pain sur la planche… La retraite est là, pour Roberto, qui passe la main sur beaucoup de sujets qu’il a porté toutes ces dernières années, abandonne des présidences, laisse de côté des dossiers. Mais une retraite forcément relative, puisque comment un homme tel que celui-là peut-il concevoir une vie sans lutter ? Retraite ou pas, au bout du compte, ça ne change pas de toute façon grand chose pour ce type d’homme.
Parce que les combats ne manquent pas. Surtout, ils sont toujours à refaire. Il y a toujours quelque chose à faire avec un fleuve… « Parce que c’est central, la question de l’eau. Et d’abord, tout faire pour rendre toute la biodiversité aux rivières, zones humides… Parce que c’est vital pour l’humanité… ».
On ne le démentira pas. Déjà, des experts nous annoncent que la moitié de l’humanité pourrait manquer d’eau potable d’ici à quelques décennies… Alors, il n’est jamais trop tard ; n’en déplaise à tous ceux que le statu quo arrange ou confine dans la sidération. Il n’est jamais trop tard. C’est une phrase qui pourrait aisément servir d’étendard à l’homme dont il est question ici. Il faut lutter, encore et toujours. En quelque part, on ne peut s’empêcher de penser que notre bonhomme a quelque chose d’une sorte de docteur Rieu ( le héros du roman « La peste », d’ailleurs écrit par Albert Camus près des sources de la Loire : décidément !) de la cause du vivant partout sur la planète. Parce que cet homme n’a que faire du scepticisme ambiant qui empêche d’agir. Pour lui, rien ne peut justifier l’inaction. Il est ainsi fait.
Martin Arnould : la chrysalide du surfeur
Martin Arnouldt, c’est un peu une sorte de facteur X de la mobilisation autour du barrage de serre de la Fare. Celui qui aurait très bien pu ne pas être là. Quelqu’un dont Michel Soupet dit « Qu’au début, on le prenait un peu pour une espèce de surfeur, on le prenait pas trop au sérieux. On a vite changé d’avis ». Rétrospectivement, pourtant, c’est bien l’impression tenace qu’il était l’homme de la situation qui domine, tant il est vrai que son histoire personnelle va faire corps avec le tumulte issu de la confrontation entre partisans et opposants au bétonnage du « dernier fleuve sauvage d’Europe ». Jusqu’à son mariage, avec Nathalie, qui sera sanctifié dans les eaux du fleuve à Champ Bourray. Ainsi, son histoire apparaît évidente. De loin alors. Parce qu’évidemment, tout n’est pas si simple. Pour tenter d’y voir plus clair, revenons donc aux débuts, en bonne méthode donc.
Quand la vie sort de son cours…
D’abord, pourquoi venir aux premières réunions ? « Et bien en fait, c’est ma mère qui m’en a parlé la première sur le mode : mais on peut pas laisser faire ça ! Moi, j’étais prof contractuel et quand je filais pas des cours de gym, et bien je faisais de la voile partout où je pouvais. Et puis voilà ! J’avais d’ailleurs traversé l’Atlantique jusqu’à San Diego où j’avais assisté à une mobilisation contre un projet d’incinérateur. J’avais beaucoup regardé comment les gens s’assemblaient, leur façon de s’unir, mettant leurs différences de coté dans la poursuite d’un objectif commun. Ca m’a pas mal inspiré pour la suite. Et puis, c’est vrai que c’était pas difficile d’être d’accord avec ma mère : pour moi, la Loire c’étaient les baignades l’été, les rando par tous le temps et les bivouacs à la cascade de la Baume. Ca me parlait quoi ! Bref, un beau jour, je décide de l’accompagner à une réunion au centre social de Guitard. C’était Jacques (NDLR : Jacques Adam) qui initiait le mouvement. Y’avait beaucoup de fébrilité, d’enthousiasme et une absence à peu près totale d’organisation. Ca m’a plu. Je suis resté et d’une certaine manière, j’en suis toujours pas ressorti ».
Comme la Loire après une crue, la vie de Martin est sortie de son cours tout tracé. A partir de là, tout va s’emballer très vite. D’abord, « comme je savais un peu écrire et que j’aime bien la communication, et bien j’écris à tous ceux qui pouvait nous apporter du soutien. Près de cinquante lettres par jour ». A la Noël 1988, il se rend avec Nathalie sa compagne, en Hongrie, près d’une lutte sur le Danube et en revient totalement galvanisé parce qu’ils ont « gagné là bas. Je reviens avec cette obsession : comment créer du rapport de force ? ». Quelques mois plus tard, ce sera lui qui sera naturellement un des premiers salariés de l’association SOS Loire Vivante en cours de constitution, au milieu de l’année 1989, cette année devenue folle pour les opposants au barrage (et leurs adversaires). Lui encore qui, en mars, sera tête de liste, et donc élu, avec deux autres, Régine Linossier et Gilles Brun, lors des municipales où la liste du non au barrage réalise 22 % des voies au deuxième tour. Surprise totale au niveau local dans cette ville traditionnellement de droite depuis la nuit des temps. Et meilleur score vert national. Emois tout azimuts dans les rédactions de France et de Navarre. Et par suite, publicité accélérée en exponentielle. Les choses ont changé. Ce sera définitif. Mais ça, personne ne le sait encore. Et puis, pour faire bonne mesure, dans la foulée, le fameux week-end de rassemblement européen à la pentecôte où 10000 personnes manifestent dans les rues de la bonne vieille «capitale du Velay». Et qui signe la concrétisation irréversible de l’internationalisation du conflit sur la Loire et la victoire d’une stratégie interne portée par Roberto Epple de passer au dessus des compromis et compromissions locales. Qui signe aussi la reconnaissance de la réalité du conflit tout au long de la Loire et de l’unité de tous les comités de lutte tout au long des 1000 kilomètres du fleuve «sauvage». Et puis, pour faire bonne mesure, la « remontée de la Loire » au mois d’Août de la source à l’Estuaire avec les aquariums remplis d’une eau de plus en plus sale. Coup de maître symbolique et succès médiatique.
Et puis le site qui désemplit plus. « Parfois des milliers de personnes par week-end, des files de voitures sur des kilomètres sur la petite route d’accès ». Et puis avec la connexion avec tous les autres groupes mobilisés tout au long de la Loire, ceux d’ailleurs : ceux du Mezenc et de sa route touristique portée par le Conseil Général, ceux du Somport, ceux de Haute Ardéche… Au bout du compte, SOS Loire Vivante et le champ Bourray, à Serre de la Fare, devient une sorte de « place to be » sur l’agenda de tous ceux pour qui, en Europe, importe la survie des plaines alluviales et la continuité du vivant le long des bassins de nos fleuves, de tous ceux pour qui l’expression «patrimoine commun» active des sentiments filiaux et les réflexes de protection qui vont avec.
L’après SOS…
Et puis, pour Martin, tout le reste. Sa vie professionnelle – mais ça signifie le plus souvent, compte tenu des exigences que le combat exige chaque jour, sa vie tout court – restera étroitement lié à SOS Loire Vivante pendant dix ans. Jusqu’à ce qu’il jette l’éponge un beau jour, au tournant du millénaire, décrivant un peu le même syndrome d’épuisement que Cyril Dion avec les Colibris (cf. bibliographie): «J‘étais lessivé. Déprimé. C’est beaucoup d’engagement quand même ces dix années ! Au sein de SOS, l’ambiance a changé. De la défiance, des sentiments troubles s’exprimaient de plus en plus. Le détachement a été douloureux pour moi. Il fallait me reconstruire : j’ai voulu redevenir éducateur, j’accompagnais des petits délinquants en montagne, j’ai repris des études pour passer un BEESAN et pouvoir enseigner la natation. Et puis la FRAPNA ( fédération Rhône-Alpes des associations de protection de la nature : NDLR) cherchait un directeur. Et moi, j’étais un peu connu. Mais j’étais plus un combattant qu’un gestionnaire. Il a fallu apprendre à chercher de l’argent, faire la tournée des popotes, pousser les portes des ministères. Ca a duré deux ans. Et puis le WWF France, suite au départ de Christine JEAN – le monde est petit, faut croire ! – avait besoin d’un directeur de campagne sur son programme eaux douces. J’y suis resté jusqu’en 2015. Alors qu’en 2012, le WWF stoppe toutes les campagnes sur l’eau douce et change de priorités, un beau jour on me fait comprendre que je suis un peu en trop sans autre justification. Parce qu’il y a une chose qu’il faut savoir, c’est que, dans les milieux de protection de l’environnement, on ne sait pas fabriquer de la continuité. C’est l’Etat qui fixe encore les agendas. En plus, au sein du WWF, on voit arriver de plus en plus de types qui sortent tout droit de Sciences Po ou d’HEC sans connaître grand-chose au terrain. C’est un autre monde. Et puis, entre 2000 et 2015, on passe de cinquante à cent salariés, de quinze à trente millions de budget : c’est pas la même chose.
C’est alors que Roberto me propose de rejoindre ERN au Puy. Ca dure deux années où je travaille sur la campagne autour de l’hydroélectricité. Mais je n’ai pas senti de désir que je continue là-bas. Il n’y a pas de renouvellement à SOS, il n’y en a jamais eu : le CA est quasiment le même depuis 20 ans.
Maintenant, j’ai créé ma propre structure de consultant, ce qui me permettra, j’espère, de faire le même métier – mettre en relation des acteurs sur des objectifs communs – mais avec plus de liberté. Il y a beaucoup de chemins de coopération à défricher. Des voies d’actions communes potentielles. Un peu comme on avait réussi à le faire avec les pêcheurs et la remontée du Saumon sur la Loire et l’Allier. Parce que je trouve que l’écologie en France souffre d’une certaine immaturité, notamment dans l’analyse de ce qu’est un rapport de force mais aussi au niveau de la pensée, tous nos ingénieurs et scientifiques sont dans un espèce de silo dont ils ont du mal à sortir. Tout le monde gagnerait à vraiment s’insérer dans le corps social. On voit pas d’ambition à construire des outils pour faire vivre ces synergies. Même si ça bouge… Se frotter aux autres, c’est toujours un challenge pour beaucoup… On est mieux dans sa tour d’ivoire… Il faut chercher une place entre les scientifiques qui « savent » mais ne se posent pas toujours la question du comment on fait et les bénévoles qui ont leurs limites bien compréhensibles. On le voit bien sur le dossier Poutès, pour beaucoup, c’est : je suis bien dans mes valeurs et je m’en fous de perdre… On a encore à faire avec ces mentalités là… Pour sortir du sempiternel processus : mobilisation / culture du mensonge de l’Etat / on fait un comité / on s’épuise. Il faut réfléchir à la professionnalisation des personnes intéressées par la question de la protection de la nature. Se demander pourquoi le WWF, Greenpeace, les organisations anglo-saxonnes, ça marche… »
Un peu donc le modèle de ce qu’a fait Roberto Epple avec la création d’ERN quand la campagne du WWF sur la Loire a fini, en même temps que sa mission donc. Il s’agit de compter sur ses propres moyens. C’est un véritable challenge. Pour Martin, installé à Saint-Etienne, ça signifie qu’il fait partie désormais, à l’aube de la soixantaine, d’une coopérative d’entrepreneurs dénommée OXALYS et veut proposer du conseil et de l’accompagnement en matière de gestion durable d’aménagement des fleuves et rivières. Parce que « je veux maintenant être indépendant et ne plus dépendre de la décision d’autres. ». Martin a aussi assuré la présidence du fonds pour la conservation des rivières sauvages jusqu’en 2019.
La boucle serait bouclée ?
Cette lutte a demandé beaucoup à ceux qui en ont été les hérauts, en première ligne. Il faudra bien dire un jour les sacrifices qu’ils ont fait. Il leur a fallu se débrouiller avec la fatigue, le manque de considération, la découverte d’autres milieux – des scientifiques sûrs de leur science aux marginaux de tout poil certains de leur pureté, des responsables politique et administratifs dubitatifs jusqu’à tous ceux -des légions !- à qui tout tend à faire comprendre qu’ils ne sont pas compétents. Pas toujours si simple d’assumer un héritage d’une part et une autre vision de l’avenir de l’autre.. Quand les programmes des grandes institutions sont arrêtées, quand les campagnes sont stoppées ici ou là, quand les majorités politiques changent, ce sont souvent les « petites mains » du changement qui doivent se débrouiller pour continuer à vivre et à continuer le combat. Ce sont toujours eux qui sont amenés à faire preuve d’imagination. Toujours eux qui prennent les risques. C’est aussi ça, le militantisme pour beaucoup. Tout le monde n’est pas prêt ou destiné à y faire face, ça peut avoir un coût… L’entourage est ainsi souvent largement mis à contribution d’une manière ou d’une autre. Les rétributions sont souvent aléatoires tant et si bien qu’on se peut se demander ce qui fait courir les gens tel Martin, partout de par le monde. A vrai dire, on ne sait pas trop, ils sont là, c’est tout, on peut le constater. Ils sont là, les Roberto, les Martin, les Jacques, les Régine, les Michel… Comme on peut constater que Martin est quelqu’un qui, à partir du moment où il a croisé la route de la bataille de l’eau, n’en a plus jamais dévié. Au delà de la fatigue, du découragement, des illusions abîmées. Au delà des matins de victoire, des jours de champagne et des soirées de bivouac à la belle étoile où tant de choses apparaissent possibles. Peut être a t-il tout bonnement fini par trouver une «place dans le monde» qui lui convient ? Amener sa pierre à l’édifice d’un futur à construire qui lui conviendrait aussi davantage… ? Peut être…
Sont-ils si nombreux, ceux qui peuvent se dire la même chose ?
Jean François Arnould, premier président
Aux côtés de Francis Soumayre ( président de la fédération de protection de la nature de Haute Loire) à sa droite et Jacques Adam à sa gauche, imberbe et champagne à la main...
Ce que j’ai ressenti le jour de la victoire en janvier 1994 ? Un très grand soulagement. Parce qu’on était de moins en moins nombreux et il fallait tenir jusqu’au bout l’occupation du site, ça commençait à devenir vraiment long… Juste à ce moment-là, j’étais à la retraite. Pendant cinq ans, j’avais enchaîné les réunions, les prises de paroles, les commissions, les voyages, en plus du métier ! Bon, j’avais un peu de bouteille et mes cours étaient au point mais enfin quand même… Aller à des réunions ou même sur le site pour monter la garde, c’était devenu très lourd pour moi… La période après la victoire aussi a été dure à vivre. Le mouvement a un peu éclaté, y’a eu un relâchement général, une espèce de dépression collective, chacun tirait à hue et à dia, toutes sortes de reproches émergeaient, des conflits latents affleuraient. On était restés unis tout au long de ces années et des conflits, il y en avait toujours eu plus ou moins, c’est inévitable, mais là, la tension s’était relâchée. J’étais toujours président, alors on venait me voir, me présenter des doléances, des griefs contre les uns ou les autres. On a même parlé de détournement de fonds et il a fallu faire venir un expert-comptable pour vérifier les comptes. Ça a été une période très désagréable. Des gens attaquaient Roberto très violemment, et moi-même, indirectement : complice ou irresponsable, je me suis senti visé aussi… Et évidemment, ces attaques venaient des mêmes qu’on avait vus de moins en moins, au moment où il fallait tenir.
Je suis devenu président en 1989. Jusque-là, j’avais été plutôt en retrait, tandis que ma femme, Jacqueline, puis notre fils, Martin, étaient en première ligne. Moi, j’étais bien entre mes élèves, mes livres et mon jardin. Et puis Roberto est venu me chercher. J’avais beaucoup donné dans le militantisme, surtout au sein de l’Amicale Laïque et plus précisément au Centre Arts et culture où on faisait surtout du théâtre. J’y avais déjà connu des enthousiastes, des romantiques, des sentimentaux et surtout les extrémistes qui ne vont pas jusqu’au bout, qui font pschitt, quoi ! C’est important de gagner quand on se bat ! Je n’avais pas envie de me battre simplement pour la gloriole et j’ai senti qu’à SOS Loire Vivante il y avait cette volonté de gagner et de se donner les moyens de gagner. Après le Rassemblement européen, début mai 1989, j’ai donc décidé de sauter le pas. C’était un peu le bordel dans les réunions et ça allait dans tous les sens, il fallait créer une association au lieu du comité informel fondé par Jacques Adam. C’est Roberto, qui était nouveau venu dans le comité, qui a commencé à imposer le tempo et la méthode. Il avait un discours qui me plaisait. Il disait qu’il y avait besoin d’une organisation plus efficace, de savoir où on allait et comment on y allait. Il a été aussi question de la violence, que la majorité ne voulait pas. On a fait trois commissions : organisation, stratégie et finances pour réfléchir à une nouvelle organisation. Je faisais justement partie de la commission organisation ; on faisait les réunions chez Régine souvent. Je me souviens de la dernière qui s’est tenue chez moi, où il y avait Jacques Adam, Roberto, Lorrain, Raymond Vacheron. On n’arrivait pas à s’entendre, c’était vraiment houleux. À un moment, Jacques s’est levé, furieux, et il est parti. Et puis il est remonté, il a dit qu’il n’était pas arrivé à ouvrir la porte en bas pour sortir de l’immeuble. Rires.
C’est comme ça que je suis devenu président, le 17 juin 1989, après une assemblée générale et l’élection d’un bureau. À partir de là, j’ai laissé de côté le jardinage, et ça a été mon quotidien de président : plusieurs réunions pas semaine, des voyages à Paris ou ailleurs sur la Loire pour rencontrer les membres du collectif Loire Vivante. Les éditos du journal. Les discours : je ne savais pas parler en public, alors il me fallait toujours avoir un papier sur moi. Les journalistes aussi. Les dossiers techniques à assimiler. Tout ça occupe pas mal. En fait, c’est un tourbillon qui vous aspire. Fin 1994, quand j’ai passé la main, j’ai pu enfin profiter librement de ma retraite…
Mais sans doute ce qui parle le mieux de l’engagement de Jean François au sein de SOS Loire Vivante n’est certainement pas lui, tant il est vrai qu’on sent vite que notre homme, pour être jovial, n’en reste pas moins pudique et discret pour ce qui touche à ses profondeurs, tient sans doute dans ce poème « perecien » qu’il avait offert à tous les sympathisants présents pour les 25 ans de SOS. Mais jugez plutôt :
JE ME SOUVIENS
Je me souviens des poissons de toutes les couleurs dans les manifs de SOS Loire vivante / des autocollants avec le poisson vert qui pleure et celui qui rigole, sur la vitre arrière des voitures / de l’affiche au poisson rouge dans un sac transparent plein / d’eau / des banderoles du « 11e énergumène » dans la foule des / manifestants. Royer, lui, n’en comptait que dix /
Je me souviens du diable JR avec ses grandes dents, brûlé en effigie après / une nuit de folie /
Je me souviens des tipis, de la yourte, de la tente bleue, de la tente militaire / des tanières, des caravanes.
Je me souviens de la grande cabane dans le bois, des fêtes et de l’accordéon / de Roberto / des petits matins et du piano de Michel Soupet / de la petite cabane devant Chambouraye avec les pins en face / et au-dessus comme horizon /
Je me souviens des soirs et des nuits de fête où on était bien / du cri du coeur de la fille qui se baignait dans la nuit de l’été sur / le site : J’aime la Loire ; / des feux de camp et des visages autour des saucisses lentilles / de la guitare des frères Portal et de la musique de la Loire. / des nuits à moins huit dans la cabane aux courants d’air. / Des soirées du dimanche de la dernière année, dans cette petite / cabane, où déjà affleurait la nostalgie, / et des gâteaux qu’on y mangeait, confectionnés par la Reine /… / des éternels pessimistes qui concluaient « Finalement, ils le feront, ce barrage, vous ne croyez pas ? » …
Je me souviens… de Mimosa / des jeunes Allemands, et des petites Allemandes / végétariennes très à cheval sur les principes/ des Suisses,/ des Italiens,/ des Anglais,/ des Grenoblois,/ des Lyonnais,/ des Parisiens,/ des Stéphanois,/ des autres/ des bourgeois du Puy – dont j’étais – qui descendaient de temps en temps voir les indiens du site.
Et du fidèle Rouky, le chien toujours libre.
Je me souviens des fous,/ des tordus,/ des dangereux, ou de ceux qu’on croyait tels.
Je me souviens : de Jacques Adam, qui n’était pas fou/ du jeune Martin plus connu partout que le loup blanc/ d’Edouard, l’oeil noir, dossiers sous le bras, dans sa parka kaki,/ toujours pessimiste et jamais découragé/ Je me souviens… / du café chez Mémère ; et de l’association des amis du barrage,/ quel était son nom déjà ?/ de Mickey, dans son capharnaüm-épicerie à Solignac, pas/ franchement amical…
Je me souviens de Lucien, qui est toujours là-bas en bas, et ses vaches aussi.
Je me souviens des points de vue dans les journaux/ des lettres d’injures avec les seringues et les papiers gras qui/ traînaient partout sur le site, et des fleurs et des petits oiseaux/ qui étaient notre seul souci/ des lettres amicales dans l’Eveil de la Haute-Loire et des/ articles de Jean Grimaud/ et des chèques qui arrivaient au local comme des petits/ ruisseaux pour la Loire/
Je me souviens des manifs, et que les rieurs étaient souvent de notre côté/ des expositions de l’Epala et des nôtres/ du capitaine Santos qui se moquait de nous, et des militantes / qui le lui rendaient bien/ de Régine l’indomptable et de l’infatigable Marinette/ de l’interview de Barrot : « Ils apportent la guerre civile en Haute-Loire » ; et des sondages qui nous étaient favorables/ de ce matin de juin dans la pinède au-dessus de la plage: sur le/ site qui aurait dû être noyé depuis longtemps, silencieux et/ jubilants, les militants de SOS écoutaient les discours du/ Ministre de l’environnement et de leur Président, massés autour/ des notables et de Barrot, qui n’avait rien dit.
A 50 mètres de là,
Olivier Arnulf, 8 ans, pêchait tranquillement
Je me souviens
des morts.
De Marie-Rose si fière d’être notre doyenne/ de Doudou qui était tout le temps là et qui savait tout faire/ de René Taffin et des feux d’artifice/ de Mathieu qui ne parlait pas beaucoup/ de Pierre Ranchet notre fidèle soutien à Brives-Charensac/ de notre Jean-Claude,/ de Jean-Paul/ et de l’autre Jean-Paul qui parlait si bien.
Je me souviens
des vivants,
des matins de doute et des soirs de victoire et des poissons de
toutes les couleurs.
Michel Soupet : le pionnier.
Michel et son vélo, évidemment...
A l’origine….
« Moi, j’ai toujours été engagé. J’ai pas pu finir les études de biologie. Mon père était ouvrier et pouvait pas payer les études. J’ai quand même passé un DEUG en travaillant de nuit dans une usine. Mais j’ai pas pu continuer. J’ai passé un concours pour devenir éducateur. Et j’ai continué de m’intéresser à la biologie en autodidacte. L’écologie, on en parlait peu à l’époque. Mon père avait été aussi résistant pendant la guerre et on peut dire que j’étais imprégné de réflexions politiques comme citoyen. Je lisais Charlie Hebdo, la Gueule ouverte. J’allais au Larzac.. J’ai renvoyé mes papiers militaires : on risquait la prison pour ça. Donc je pouvais perdre mon job aussi. C’était sérieux quoi. Et puis, y’a eu Creys-Malville. Je luttais contre Superphénix là-bas. Et y’a eu la mort de Vital ( Vital Michalon, un professeur de physique tué lors d’une intervention des forces de l’ordre sur le site en 1977 : NDLR) ». Ici, Michel est obligé d’arrêter son récit tant l’émotion est encore trop grande pour lui à l’évocation de la mort du militant. Il reprend un moment après. « Moi, j’ai arrêté de militer après ça, j’étais traumatisé. Pendant dix ans. Je me suis marié. Je faisais du vélo, du kayak. Je me mets au vert, loin du nucléaire et de leur merde atomique. Je me dis : mais ils sont vraiment prêt à tout. Pas moi. Je me retire. Jusqu’à ce que Jacques Adam, un copain éducateur et syndicaliste vienne me réveiller en 1988. C’était à propos du barrage. Il y avait des élections cantonales de 1988. Il me dit qu’il a besoin de quelqu’un pour monter des dossiers et défendre les idées lors des élections au Puy, dans la circonscription du Puy Sud Est. Alors, je me laisse happer, on commence à se plonger dans les dossiers, la DUP (déclaration d’utilité publique : NDLR) et je fais campagne. Je fais 10 % quand même et Jacques 4 au Monastier sur Gazeille ( NDLR : un affluent de la Loire). On fait venir Antoine Waechter qui y rencontre sa future femme d’ailleurs. Les premières réunions, je n’y vais pas. Je me dis que c’est encore une histoire à la con, que je vais encore y laisser des plumes. Et puis… Le premier vrai rendez-vous avec la Loire, c’est au Pont de Chadron. Sur la grande paroi rocheuse de l’entrée des gorges, en surplomb de la route d’accès. On y passe la nuit et on installe au milieu de la paroi une grande pancarte où on écrit « pour une Loire vivante ». Et on est pas beaucoup à vouloir défendre la banderole par la suite. Il y a Jacques, évidemment, Waechter, Edouard Bor, deux habitants de Colempce. C’est de ceux-là dont je me souviens. La pancarte va rester longtemps finalement. C’est une tempête qui se chargera de lui régler son sort. On organise une manif aussi, celle d’octobre 1988 : 1000 personnes dans les rues du Puy quand même. Tout ce monde, on n’en revient pas.
Serre de la Fare…
Et puis, dans l’hiver, on a commencé à occuper les lieux, juste au dessus du pont de Chadron. Quand le préfet a quand même avalisé la DUP malgré une marée de remarques négatives. Au début, il y a juste une tente au bord de la route. Pas grand monde non plus. Faut dire qu’il fait sacrément froid. On est en février ! Jacques bien sûr, et les jeunes : Jacques Grimaud, Philippe Lhort, Jérome Leyre et sa sœur. Michel Barlet aussi. Eux, ils étaient marrants. Moi, j’étais plutôt pessimiste sur le truc, je me disais : ils vont faire comme à Creys, à Naussac (une autre lutte tenue en Lozère quelques années plus tôt contre, déjà, un projet de barrage Naussac I – qui se fera, lui – ainsi que Naussac II d’ailleurs : NDLR) . Eux, ils se prenaient pas la tête, ils me disaient souvent : mais arrête d’être pessimiste, on va gagner. Et puis, on a fini par descendre près du fleuve. On a trouvé une grande tente qu’on a bourré de paille. Il faisait un peu plus chaud mais pas beaucoup plus, bon sang. Moi, j’avais toujours mon vélo derrière la voiture. Et ma fille… J’ai entraîné ma fille dans cette aventure tout en me disant ; je reste un père avant d’être militant. Je ne la mettrai jamais en danger. Je pouvais pas la faire coucher dehors quand même : elle avait cinq ans. Alors, j’ai acheté une caravane que j’ai amenée sur le site. Et puis, y’a des allemands qui se pointent. Une vingtaine de l’université de Sarrebruck et ils sont là pour se coucher devant les camions, leurs voitures en travers, de vieilles visa Citroën.. Moi, je ne connaissais pas le WWF. Loire Vivante, à peine. Je connaissais cependant beaucoup mieux les Amis de la Terre de Brice Lalonde. Et là, je voyais tous ces gens débarquer, engagés dans le positif et je crois que ça a inversé mes craintes teintées de pessimisme. J’ai commencé à me projeter sur autre chose qu’une énième défaire assurée. J’en avais tellement au compteur.
L’arrivée de Roberto…
Et puis y’a eu Roberto qui est arrivé. Avec son camion rouge, ses tenues kaki et son couteau à la ceinture. Et sa caméra en bandoulière. Et moi, je me dis : lui, faut se méfier. Il doit être des RG. Il s’est présenté comme un cinéaste qui venait d’une lutte en Autriche ou je ne sais où. Une lutte victorieuse. Après discussion, j’ai pris confiance. Le temps s’était radouci, les soirées étaient plus clémentes autour des feux de camps. Beaucoup d’allemands, de suisses. Martin Arnould parlait lui aussi d’une lutte victorieuse sur le Danube. Le truc s’est internationalisé sans qu’on y prenne garde. Le WWF est devenu de plus en plus prégnant. Ca nous a dépassé. Y’avait des tensions internes aussi, y’avait un groupe d’anarchistes qui foutaient pas mal le bazar dans les réunions, qui incitaient à la violence, qui prônait un peu une stratégie de guérilla. Alors que nous, on était pacifiste, on tenait à la mobilisation du plus grand nombre possible, la démocratie, la loi, les recours juridiques. On se rend bien compte qu’on est fragile et qu’on a besoin d’appui. Le monde politique s’intéressait aussi à nous depuis les élections municipales de 89. On pouvait plus rester sur notre pré carré. Roberto était beaucoup, dans la communication. Il avait installé des fax. Y’avait des tas de gens sur le terrain, y’avait des « bureaucrates », y’avait l’intelligentsia. Et puis les occupants. On formait un groupe très hétéroclite : ça allait de l’ingénieur, professeur, du médecin, des ouvriers, des SDF… Et y’avait des tensions, là aussi, entre tous ces gens si différents. C’est inévitable. Et Roberto était l’homme de la situation sans doute. Je le percevais comme très directif, quasi militaire. Il était aussi une tête pensante et avait des moyens qui nous faisaient défaut. Il faut un leader de toute façon, c’est peut être dommage mais c’est comme ça. Il faut une cohérence physique, se serrer les coudes… Roberto, c’est quelqu’un qui sait mener les gens mais l’autonomie, ça lui plaît pas trop. Mais il aime les fleuves, il leur a consacré sa vie et il est intelligent. Je crois pas qu’on aurait gagné sans lui… Moi, je fais ce que je peux, j’ai souvent des congés sans solde pour être plus présent… On était toujours un peu sur la défensive sur le site. On a planqué de la bouffe, certains des cigarettes, on a construit des pièges le long de la route d’accès aux gorges, on pouvait bloquer le route de Solignac, on s’est donné à chacun un arbre sur le site et à chacun de le protéger quoi qu’il arrive. On a commencé à construire une cabane en dur. On avait des charpentiers, des architectes qui nous faisaient des plans. Moi, j’étais plus particulièrement chargé de l’accueil des arrivants et journalistes sur le site.
Souvent, on entendait parmi les gens qui visitaient des remarques comme : « le barrage, ils le feront quand même » ou « les gens d’ici sont soumis, il y a quelque chose au dessus d’eux ». Et puis de moins en moins…
Et puis, la cabane, on nous l’a cramée deux fois quand même. Mon piano y est resté lui aussi. Alors, j’ai fait une chose que je n’avais jamais faite, j’ai porté plainte. Parce que merde… Je milite pour le bien commun et je n’ai pas à y laisser des plumes encore. Mais y a eu plein de choses que je n’avais jamais faite dans cette histoire. Et d’abord et surtout faire plier l’Etat. L’emporter sur toute la ligne. Ca… J’ai vaincu quelques démons… Mais j’ai passé bien des soirées seul sur le site. Y’avait plus que moi. J’en demande pardon à ma fille : elle avait peur parfois des drôles de zigs qui traînaient là haut. Elle me l’a dit bien après ».
Puisque rien n’est gratuit en ce monde : « Mais j’avais vraiment besoin de gagner cette fois ! »
Et ici encore, rendons la parole à Michel qui se rappelle des années après de la chaleur d’un certain soir de 1991 le long de la Loire, à Champ Bourray, une nuit pour fêter le fleuve une fois de plus, alors que le gouvernement Rocard vient d’annoncer le début de la fin du barrage de Serre de la Fare. Des mots pour se faire une idée de ce qu’a pu être la mystique du fleuve vivant pour ses principaux protagonistes et comment elle vivre longtemps dans le corps et l’esprit :
« Musiques de l’eau, musique du vent, saxophones et guitares ce soir là, font l’amour ensemble tranquillement, loin de la raison ordinaire. les sons enlacés, en écho, se répondent face à la falaise de granite rose, où coule la Loire… Elle renvoie son message d’amour et de vie pour que nous sauvions son éternel cours capricieux. C’est l’été… De loin en loin au pont de Chadron, les effluves sonores s’élèvent à l’infini et rajoutent une ambiance féline à ce beau soir de juillet… la mélodie sinusoïdale s’engouffre dans les brèches rocheuses.. Réunion heureuse de l’art visuel et auditif au grand ravissement des spectateurs invités à communier et à se repaître d’une nourriture paradoxale, faite d’espaces, de bruits, de sons, d’éclats vibrants, enfantant une communication insolite où nature, musique et peinture, se conjuguent pour des instants inoubliables, savoureux… Au matin, c’est avec des yeux fatigués et embrumés par la folle fête de la veille, que nous croisons nos regards avec des sourires complices… Quelle nuit !.. Encore une pierre précieuse à l »édifice de cette lutte où la raison flirte avec l’extravagance et l’arrogance de la vie… »
François Fabre, parmi les premiers
« Moi, j’ai passé mon enfance à Goudet (petit village de la haute vallée de la Loire, promis à la noyade). Très vite, je suis devenu un pêcheur, comme tout le monde. Et quand j’avais pas les pieds dans l’eau, et bien je ramassais les champignons ; autant dire que la vallée de la Loire, la Gazeille et tout ça, je crois pouvoir dire que je connais bien. Et là, on voulait tout noyer ! Autant te dire là aussi qu’on y était, et plutôt deux fois qu’une, à la première réunion organisée par Jacques Adam, le 14 février 1988, au centre Pierre Cardinal du Puy. J’ai encore la date. On était une trentaine, à se demander ce qu’on pouvait faire. On était attentif, tu vois. C’est la Loire quoi !! Déjà, il y avait eu une première réunion au Puy de Loire Vivante en 1986, avec le WWF et des scientifiques réunis dans un comité. Et ça avait fait pschitt… Alors, nous, on avait créé aussi notre comité, le comité SOS Loire Vivante. Sans même savoir qu’il existe toujours l’autre, de comité Loire Vivante. Bref, on fonce. On est là, place du plot, sur le marché du samedi matin. On est au Gerbier de Jonc, à la source ».
Ainsi, ce prothésiste dentaire à la carrure de rugbyman, se lance à corps perdu dans ce comité qui initie le combat des défenseurs du fleuve sauvage et cristallise les énergies. « Moi, ça a fini par me coûter du pognon, forcément, on recevait toujours quelqu’un à la maison… On faisait manger, on lavait le linge... ». La famille Fabre loge dans une grande maison en surplomb de la ville du Puy, pîle dans l’axe, quand on prend la direction des gorges de la Loire justement. Alors, c’est en effet bien pratique pour recevoir les visiteurs. Parce qu’il va y en avoir du monde qui viendra manger, dormir, se laver chez les Fabre un jour ou l’autre : des scientifiques du réseau Loire Vivante, des journalistes, des allemands, des autrichiens du WWF qui viennent aider lors des débuts de l’occupation du site ou quand il faut du monde pour s’opposer aux camions et engins des aménageurs. Et on imagine sans peine les modalités de l’accueil des étrangers dans cette si hospitalière maison mais où personne ne parle ni la langue de Shakespeare, ni encore moins celle de Goëthe : « Mais enfin on se débrouillait avec les mains et trois mots. Le problème, c’était plutôt au téléphone, quand on pouvait pas se servir des mains justement...». Ça le fait encore rigoler, François, ses souvenirs d’incompréhension commune quand chacun cherche au milieu du grand salon le moyen de se faire comprendre le plus approprié. C’est toujours lui, en tous cas, qui devient trésorier du comité SOS Loire Vivante et qui gère donc les premières adhésions (très vite pas loin d’un bon millier quand même) ainsi que l’argent du WWF quand il a commencé à affluer si bien que ça a fini par faire pas mal d’argent : « Oh la la, on peut dire que j’étais stressé… surtout quand on a organisé le rassemblement européen, là, y’avait du pognon.. J’avais ça chez moi. Je dormais avec un fusil, dans une pièce où ne rentrait que moi.. J’étais un peu parano… Quand l’association s’est créée, j’étais sacrément soulagé de rendre tout ça aux nouveaux élus ».
Les bons moments aussi…
« Sinon, des bons moments, y’en a eu plein aussi. Ah, ben ça, c’est pas ce qui a manqué… ! Heureusement. Sur le site, c’était quand même folklo, y’avait une faune sacrément haute en couleur, on peut pas le dire autrement… Et puis il y a eu l’arrivée de Roberto. Je crois qu’on a été le chercher à la gare. Avec Edouard ( NDLR : Edouard Bor). Et il était pas descendu du train qu’on lui payait un coup de verveine au bar en face de la gare… Ah, on l’a bien reçu… D’ailleurs, il est revenu, non ? Et puis on en a fait des fêtes sur le site ou au local, de ci de là. On les avait bien méritées, je crois…On avait installé une buvette là haut, qui marchait bien. On amenait les enfants et ils se baignaient avec les autres, ceux des Arnulf, la fille de Michel Soupet… Et puis des fois, on s’amusait aussi un peu à faire flipper les types de l’Epala, j’ai un peu insulté Royer un jour à Tours, Bernard Pays aussi, lui, il lui a même collé un cou de pied dans le tibia dans l’ascenseur de l’immeuble de l’Eveil ; moi, une fois ou deux, j’ai suivi la voiture de Thépot sur une trentaine de kilomètres. On faisait ce qu’on pouvait... ».
Mais après, ça nous a un peu dépassé, cette histoire… On a commencé à parler du Somport, de l’estuaire et je ne sais quoi… On a lâché prise. On avait l’impression que tout se jouait ailleurs. J’ai rendu la trésorerie. D’autres ont pris les rênes. Mais j’ai continué à venir bien sûr. Pour la Loire. J’étais un bon soldat…
Et maintenant, je ne vais même plus y pêcher, tiens… « .
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Edouard Bor, l'homme des dossiers
« J’habitais Coubon à l’époque ( un bourg traversé par la Loire, un peu en amont du Puy). Quand j’ai entendu parler de cette histoire de barrage, j’ai commencé à faire des dossiers, des revues de presse… J’avais un peu de temps, j’étais dans un creux professionnel. Mais j’avais lu « le printemps silencieux » de Rachel Carsons et on peut dire que j’avais commencé à avoir un vrai souci de l’écologie. J’avais fait le choix d’une carrière agricole, j’étais éleveur de bovins et je crois pouvoir dire que le bouquin m’avait sérieusement retourné ». Alors, en homme méticuleux, il commence quand même à s’intéresser sérieusement à l’étude d’impact du barrage, tant et si bien qu’il finit par la connaître mieux que tout le monde. Cela ne l’empêche pas d’être pessimiste au début : « C’est vrai, souvent je disais : bah, s’ils veulent le faire, ils le feront ! Et un jour, je me suis fait engueuler par Martin Arnould qui me dit d’arrêter d’être pessimiste, qu’il faut se battre, et qu’on a besoin d’être optimiste… Il avait raison. J’ai arrêté d’être pessimiste. Enfin de le dire en tous cas ! ». Edouard Bor, c’est un physique de moine soldat et une volonté sans faille. Beaucoup des gens rencontrés nous ont dit : « Ah Edouard ! Il était toujours avec son dossier de plus en plus gros, d’abord c’était un simple classeur, après un dossier, ensuite un carton entier qu’il traînait partout avec lui, dans toutes les réunions... ».
C’est en effet lui le premier qui se rend compte que l’étude d’impact du barrage de Serre de la Fare présente de grosses incohérences entre l’écrêtement des rues et le maintien des étiages, entre le marnage inévitable et l’utilisation touristique. Que le travail de préparation et d’études d’impact de l’Epala est pour le moins baclé quoi ! C’est lui qui fournit les premiers éléments d’une contre-attaque sur la question du bien fondé de l’ouvrage, un argumentaire sortant l’opposition au « bétonnage » de la logique purement sentimentale. Parce que si c’est vrai qu’elles sont jolies ces gorges promises à la noyade, il a fallu aussi proposer d’autres conceptions quand au bien fondé du barrage en tant en telle et de son utilité pour la région. Maintenant, on dirait » le barrage et son monde » ou quelque chose d’approchant. Où il s’est agi de passer d’une protestation aux motifs esthétiques ou intimes à une logique de contestation du barrage en terme économiques et/ou scientifiques. S’ensuivront une flopée d’analyses et contre-analyses sur la qualité du marnage, l’eutrophisation, ce qu’on appelle tourisme de part et d’autre de la mobilisation, ce qu’on entend par développement local.
Un débat particulièrement riche au bout du compte qui a traversé l’espace public local comme il a pu, tant il est vrai que le refus de dialogue de la part des autorités politiques locales sera longtemps une constante, mais aussi que le camp des opposants n’était pas non plus en phase de façon obligatoirement spontanée. Et Edouard se trouve être aux prémisses de ce changement de cap dans la lutte. Par sa connaissance des dossiers techniques et sa rage d’y voir clair. De ne pas être « DUP »sans doute.
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Au premier plan, avec la fameuse parka kaki, le dossier sous le bras évidemment... A ses côtés, Martin Arnould, Régine Linossier, Robert Portal et deux inconnus barbus, Et le VW rouge...
Improbable rapprochement entre Fatwa khomeiniste et lutte pour la Loire. : Khomeini-bor v/s Royer-Rushdie ! Fallait oser ! Auteur inconnu.
Valérie Valette, de la Loire au Paranà...
Un article et une pétition.
« Ah la Loire ! Comme pour beaucoup ici, c’est un peu une âme-soeur… Mon père était pêcheur et j’ai passé mon enfance à le suivre le long de l’eau et à arpenter chaque recoin des gorges. La source de Bonnefont n’avait pas de secret pour moi. Mon père s’était déjà engagé contre un projet précédent de barrage dans les années soixante-dix. Il nous en avait parlé bien évidemment. Bref, on était averti quand le sujet est revenu sur le tapis en 1988. J’ai écrit un article et Jean Grimault l’a passé dans l’Eveil (journal local particulièrement lu, ce même journaliste signe en Octobre 1988 un article retentissant prenant ferment position contre la barrage : « Requiem pour un fleuve : NDLR). Tout de suite, Jacques Adam m’a appelé, il était content de se sentir moins seul. Mais j’habitais et je travaillais à Lyon. J’ai contacté Monique Coulet, directrice de la Frapna, qui dirigeait un labo d’hydrologie à Lyon II, dont j’avais lu, dans le cadre de mon travail, une étude quelques mois plus tôt qui portait précisément sur la Loire. Elle m’a répondu et on a commencé à échanger régulièrement. Elle m’a fourni l’Etude d’Impact officielle. Et on a lancé une pétition, couleur jaune d’or !
J’ai contacté la fédération des commerçants du Puy et j’ai fait le tour des commerces pour qu’il mette la pétition en évidence sur leurs comptoirs. De son côté, Jacques Adam a lancé aussi une pétition. Si bien que deux pétitions circulaient. C’est vous dire combien on était coordonné ! Je tenais à mon indépendance et je n’ai pas adhéré tout de suite à SOS. Les commissaires-enquêteurs n’avaient jamais vu autant d’expression citoyenne lors d’une enquête d’utilité publique, beaucoup de gens s’étaient aussi déplacés directement à la Préfecture du Puy pour y donner leur opinion.
Avec Monique Coulet, on ne s’est rencontré physiquement que plusieurs mois plus tard. J’ai assisté à une conférence qu’elle a donnée pour des élus à la préfecture de Lyon sur la vie des fleuves et des rivières. J’ai récupéré le diaporama pour le donner à SOS. Je me souviens de l’avoir présenté un soir à la mairie de Goudet. Après, j’ai écrit une contre-étude critique du volet touristique présenté par l’EPALA. Je l’ai adressée aux maires des cinq communes concernées par le barrage. J’insistais sur les dix mètres de marnage en période estivale, interdisant le plaisir de se baigner et de jouer sur les berges avec ses enfants, par exemple. Et sur la destruction du capital nature de la haute vallée de la Loire, exceptionnellement riche et préservé : un atout pour l’avenir, c’était évident! Pour des raisons économiques et touristiques, mais aussi et surtout pour le bien-être et la qualité de vie des gens…
En 1989, je faisais des aller-retours entre Lyon et la Haute-Loire, comme je pouvais, avec mon bébé qui est né en mai 88. C’était mon premier enfant, ce n’était pas facile de concilier tout ça en même temps. Je n’ai pas participé autant que je l’aurai voulu à l’élan collectif. Ainsi, je n’ai pas occupé directement le site et c’est un regret immense…
Le marché du plot et l’occupation.
Mais j’étais là chaque fois que je pouvais. J’adorais distribuer des tracts Place du Plot, le samedi matin au marché. Dans le mouvement, on rencontrait des gens formidables. Je me souviens de Mimosa, pieds nus dans la rue, ses cheveux très longs, qui est apparu comme une fleur et qui a pris racine sur le site !
Et après …
Quelques années plus tard, j’ai travaillé avec Roberto à ERN (European Rivers Network) qu’il a fondé en parallèle avec ses activités à SOS. J’ai participé très activement à la lutte des Catalans et des Aragonais contre la construction de nouveaux barrages en Espagne et notamment le détournement de l’Ebre par un« pipe-line » de 1000 km vers les serres agricoles du sud. Ce fut à nouveau une belle aventure humaine… Là aussi, un mouvement citoyen spontané a réussi à contrecarrer des projets inutiles et coûteux ! Là aussi, le mouvement a été récompensé par un prix Goldman !
Je suis ensuite partie au Paraguay, avec des activistes amis de Roberto qui luttaient contre le remplissage catastrophique du barrage de Yacyreta, sur le fleuve Paranà : le « monument de la corruption » comme ils l’appellent là bas… J’ai fini par me retrouver au Brésil, lors d’un congrès organisé par le barrage d’Itaipu, le plus puissant du monde. J’étais remontée à bloc sur le sujet. Mais j’ai eu la surprise de ma vie. A la tribune, j’ai entendu des discours incroyablement progressistes venant de personnalités extraordinaires : Marina da Silva (Ministre brésilien de l’Environnement), Leonardo Boff (une des plus grandes autorités morales d’Amérique du Sud), Nelton Friedrich (sous-directeur d’Itaipu, nommé par Lula à ce poste, et qui fut à l’origine du plus grand nombre de lois sur l’environnement lors de l’Assemblée Constituante du Brésil, à la fin de la dictature militaire)… Je n’en croyais pas mes oreilles, c’était surréaliste… En fait, c’était le congrès annuel du programme « Cultivando Agua Boa ». Ca aurait pu être une récupération, être plus qu’ambigu. Mais non, on sentait que c’était sincère. Ce programme socio-environnemental était une véritable utopie en marche. Ca m’a passionné. Je suis revenue quelques mois plus tard, avec le mari cameraman d’une amie. Et j’ai réalisé mon premier documentaire sur ce bel exemple de volonté politique. Il est applicable dans toutes sortes de contextes, et pas seulement pour réparer les dégâts sociaux et écologiques des barrages.
Je suis restée aussi active dans les réseaux qui luttent pour l’eau, sous toutes ses formes. J’ai fait partie du comité d’organisation du Forum Alternatif Mondial de l’Eau, pour offrir des visions différentes sur la gestion de l’eau, sur la distribution de l’eau potable, notamment.
J’ai acheté un appareil photo GH4, c’est une super caméra, facile à utiliser. Et je me suis lancée dans la réalisation de mon second documentaire : Dobra Voda ( voir vidéo ci-dessous). Du coup, j’ai donné un nom à cette (petite!) série : Fleurs du Futur. Celui-ci parle toujours et encore de l’eau : comment la rupture des petits cycles de l’eau participe directement au changement climatique.
Mais tout est parti de mon amour profond de la Loire… Il y avait là, dés le départ, les éléments d’une « mystique » que j’ai essayée de retrouver ailleurs, je crois. Pour moi, la nature, c’était et ça demeure de l’ordre du sacré, une des sources de la spiritualité. Même si je suis plutôt rationaliste… Un jour, j’ai promis à un arbre, près de la source de Bonnefont, que je ferai tout pour le sauver de la noyade. J’y croyais très fort. Et avec un magnifique élan collectif, on a réussi bien plus que ça … »
Pour en savoir un peu plus...
Régis Thépot : l'autre côté...
Jean Royer en JR....
Au milieu exactement
Alors, bien sûr qu’il faut aussi présenter Régis Thépot, tant il est vrai que son parcours professionnel aussi bien qu’intellectuel l’a amené à se situer au croisement des différentes façons d’envisager l’aménagement des fleuves. Au milieu exact du point d’équilibre du conflit à propos des aménagements du fleuve royal. Car, s’il est vrai que le combat initié autour des projets de l’Epala sur le cours de la Loire et affluents a été l’occasion de repenser complètement les relations des hommes et des cours d’eau, on peut dire, sans risque de se tromper, que notre homme s’est trouvé, du fait de ses fonctions, à l’épicentre du tremblement de terre.
En effet, ancien directeur-adjoint de l’Epala pendant les années folles, en charge du dossier de Serre de la Fare, puis directeur de la même structure, il est devenu, fort de son expertise acquise le long du fleuve sauvage, administrateur territorial et directeur de l’aménagement de l’axe Seine en amont de Paris et au bout du compte, une référence internationale sur l’aménagement des cours d’eau. Avant de couler une retraite heureuse et active, tant il est vrai que son expérience d’aménageur de bassin fluvial et de gestionnaire des risques naturels est plébiscitée partout à travers le monde (du Maghreb en Asie en passant par les institutions européennes…).
Régis Thépot, longtemps, c’est ainsi l’antéchrist pour tous les défenseurs de la Loire Sauvage. Certes, à un degré moindre que Joseph Picard, directeur de l’Epala jusqu’en 1995 et souvent caricaturé en vautour dans les bulletins de Sos loire Vivante ; et surtout, que Jean Royer, ci devant très dynamique président du même organisme et ancien candidat à la présidentielle et pour qui, l’aménagement de la Loire devait constituer «l’oeuvre immense». L’apothéose d’une carrière. Lui, c’était devenu JR, le méchant donc, de la série télévisée Dallas dans les caricatures des opposants. Mais enfin quand même, Régis Thépot, c’est bien celui dont François Fabre suit la voiture pour l’impressionner quand il vient jusqu’en Haute Loire. Autant dire qu’il n’est pas, lui non plus, franchement l’idole des foules sur place. Et pourtant, c’est bien le même qui va participer à la mise en œuvre du plan Loire Grandeur Nature (PLGN) après 1994 qui est l’application rigoureuse, au Puy en Velay, des solutions préconisées par les défenseurs du fleuve sauvage où la priorité est donnée aux aménagements doux et à la prévention, notamment à Brives-Charensac pour près de trois cents millions de francs.
A l’origine..
Ainsi, notre homme, quand il arrive à l’Epala en 1987, est un jeune ingénieur dûment diplômé de l’Ecole des Travaux Publics qui croit donc spontanément à la doxa dominante de ses pairs et donc aux vertus de l’excellence humaine à domestiquer la nature par la force de ses techniques et son intelligence. « Pour un jeune ingénieur, à l’époque construire des barrages, c’est le « top » bien sûr. Je suis recruté par Joseph Picard, qui était un ingénieur général du génie rural et des eaux et forêts. Un homme de l’Est, très gros travailleur, discret et sensible. Parce que, contrairement à ce que croyaient les écologistes, l’Epala, ce n’était pas grand-chose, on n’était que deux cadres supérieurs, avec une petite équipe d’une dizaine de personnes. Jean Royer m’avait prévenu d’ailleurs. Il me disait : vous prendrez des coups. J’en ai pris effectivement. Royer, par sa volonté et son charisme exceptionnel, avait réussi à fédérer un ensemble de collectivités territoriales à l’échelle d’un bassin qui représentait 1/5 de la France : ce n’est pas rien ! Cela ne s’était jamais fait avant et ne s’est jamais fait depuis. J’ai vu fonctionner ce syndicat mixte de l’intérieur et c’est un modèle magnifique. Et qui venait de loin : parce que, dés 1982, lors d’une réunion tenue à Roanne, Royer, Rocard, Auroux, Tazieff se mettent d’accord sur le fait de la nécessité de l’émergence d’un maître d’ouvrage unique dans l’aménagement de la Loire, expression de la volonté solidaire des collectivités territoriales.
Montée des oppositions et revirement de l’Etat..
Alors, bien sûr qu’on a été surpris par la montée des oppositions. Mais je peux vous dire que Royer a encore été plus surpris par les revirements de l’Etat. Car, enfin, c’est bien l’Etat qui crée et avalise la création de l’Epala en signant le protocole d’accord en 1986 en faveur de la réalisation de quatre barrages et ces revirements, Royer ne les a jamais admis.
Alors moi, je me suis vite trouvé en première ligne. Parce que ni Picard, ni Royer ne pouvaient dialoguer : ils se sont très vite braqués. Ils n’avaient pas l’habitude d’être contestés d’abord et puis, ils étaient convaincus de la justesse de leurs propositions, ils pensaient vraiment que c’était de l’intérêt de tous. C’étaient des hommes avec des valeurs. Royer, c’est un instituteur au départ, de l’ancienne école. Et un pécheur de brochet qui aime la nature lui aussi, à sa façon. Alors, moi, j’y allais, je faisais le job, je roulais cent mille kilomètres par an, j’allais aux réunions, en Haute Loire, à Paris, à Orléans, à Nantes … Les problèmes sont vite arrivés. Il y a eu cet article de Grimault qui jouait sur la corde sensible : «Requiem pour un fleuve ». Autre problème : on n’a jamais pu démarrer les travaux de Serre de la Fare. Le préfet de la Haute-Loire n’envoie pas les gendarmes. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand casse ensuite la DUP de Serre la Fare. Mais le moment où l’on a senti qu’il se passait quelque chose de pas ordinaire a été celui des résultats des municipales de 1989 au Puy en Velay. Là, on savait que les politiques allaient réagir. En face, ils avaient des touts aussi : il y avait aussi Christine Jean, à la tête de Loire vivante, une femme, jeune, dynamique, convaincue et compétente sur les dossiers ; elle a obtenu un prix de l’Environnement, le prix Goldman, quelque chose d’important au niveau international, en 1992. Elle aurait pu être ministre d’ailleurs un moment si elle avait voulu. Il y avait Martin Arnould qui passait bien aussi. La crise médiatique, je l’ai prise dans la figure : un jour, il y a un journaliste de TF1 qui vient me voir et qui me dit : « c’est foutu pour vous, je viens de chez Christine Jean, elle est vraiment très bien ». Et moi, il insistait pour m’interroger devant des courbes et des tableaux de chiffres ! Il insistait vraiment… Vous voyez bien le contraste qui l’intéressait ! Nous, c’est vrai qu’on avait une communication technique, des discours de techniciens sérieux et en face, ils avaient les saumons, les gorges sauvages, les pandas… Et puis, on avait l’exemple des barrages de Villerest et de Grangent qui nous desservaient avec l’eutrophisation réelle de leurs plans d’eau. Mais au final, ce sont bien des décisions politiques qui nous ont fait enterrer les projets qu’on soutenait. L’expertise est passée au second plan. C’est Lalonde et Rocard qui portent la première estocade en 1990 mais sans aller trop loin. Et puis, Barnier a tranché définitivement en faveur des écologistes ; j’étais là, dans son bureau, le 31 décembre 1993, quand Barnier annonce à Royer que c’est fini pour Serre de la Fare. J’ai vraiment vu Royer marquer le coup. Physiquement. C’était devenu le projet de sa vie, cette série de barrages et l’aménagement de la Loire.
Et rebelote avec Chambonchard quelques années plus tard, alors que ce projet, revu à la baisse était prévu dans le plan Loire Grandeur Nature. Cette fois-ci, c’est Voynet qui est au ministère. Royer a jeté l’éponge en 1995. C’est Doligé qui est aux commandes de l’Epala dont je deviens directeur en 1996. Pourtant, à Chambonchard, la DUP est OK, les travaux préliminaires ont commencé et l’Etat décide de ne plus financer ce deuxième projet de barrage… Là, on a attaqué au conseil d’Etat et, ce qui est très rare, l’Etat a été condamné par la justice à verser des compensations à l’Epala, devenu entre-temps Etablissement public Loire.
Un bon soldat …
En conclusion de cette expérience, je considère avoir été « un bon petit soldat » de l’Epala et n’ai pas d’état d’âme de ce point de vue-là. Je suis un technicien et un fonctionnaire qui fait ce que les politiques décident de faire. C’est très clair pour moi. Ce que je regrette par contre, ce sont les changements d’avis successifs. Parce que ça coûte beaucoup d’énergie collective et de l’argent public au bout du compte. Et dans ce dossier, l’Etat n’a pas, à deux reprises, honoré ses engagements pris en 1986. C’est ça le problème.
Personnellement, les solutions du Plan Loire m’allaient mieux. D’ailleurs, ce plan Loire a fait des petits partout, et d’abord sur la Seine. C’est quelque chose dont je suis fier. La Loire a initié une recherche de développement autour de la durabilité. C’est devenu un territoire d’innovation pour l’action publique. En 2002, le val de Loire est ainsi inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Simon Burner, directeur de SOS Loire Vivante
« On protège ce qu’on aime et on aime ce qu’on connait ».
Simon, il est arrivé en 2011, comme directeur de SOS Loire Vivante. Féru de développement local, comme agent territorial et animateur de différents projets aussi bien en Seine et Marne, dans la vallée de l’Ondaine, mais aussi au Chambon-Feugerolles comme directeur des services de la vie locale ( sports, culture, vie associative…). Avec en parallèle, une histoire militante qui démarre dés 2004 et se concrétise autour d’une opposition à la construction d’un viaduc au dessus de la Loire ( déjà !) du côté de Beauzac ( au nord/est du département de la Haute-Loire : NDLR) : « Au début, c’est vrai que c’était un peu le syndrome NIMBY, puis très vite on a dépassé le côté impact personnel pour défendre l’intérêt général et celui de l’environnement. On a organisé une manifestation de prés de 500 personnes au Puy en Velay. Une bagarre de dix ans. J’étais le président de l’association, on a créé une randonnée des gorges de la Loire pour mieux les faire connaitre. Parce qu’on protège ce qu’on aime et on aime ce qu’on connait ! Chaque année sur une journée on a rassemblé plus de 1 200 personnes dans les gorges ». Et c’est là où j’ai commencé à rencontrer les gens de SOS Loire Vivante. Comme ceux de la LPO ( ligue de protection des oiseaux). On a proposé des aménagements alternatifs au viaduc, comme un projet complet pour la RD12 . Notre première action commune a été, en 2010, de créer le Réseau Ecologie Nature 43, le REN, devenu depuis FNE 43 : 5 assoces au départ, 25 aujourd’hui.
L’esprit Loire Vivante …
Après, j‘arrive donc en 2011 à SOS qui est un peu à un tournant de son histoire. Des personnes sont parties. Moi, mon rôle va être de structurer administrativement et financièrement, de gérer les équipes. Sachant que le collectif est en perpétuelle mouvance. Mais je crois qu’on forme un binôme intéressant avec Roberto : lui, il est président et s’occupe de relationnel avec les élus, les partenaires et moi, je monte les dossiers, je gère l’administratif. On multiplie notre équipe et notre budget par 2 assez vite. On passe à huit salariés. Il nous faut asseoir notre association, construire un socle solide. Il faut faire en sorte que les institutions qui nous accompagnent soient en confiance, il nous faut sans cesse conforter ou créer ça. Et puis on veut continuer à être un partenaire qui amène des solutions. Parce qu’on est une association qui va où les autres ne sont pas : on ne fait pas de gestion d’espaces naturels, on ne répond pas aux appels d’offre. La contrepartie, c’est qu’on est obligé d’être une force de propositions. On a des partenariats pluriannuels avec différents acteurs. Structurellement, on a une seule personnalité juridique, mais deux noms : SOS Loire Vivante et ERN ( European Rivers Network). SOS, c’est la Loire historiquement, de l’estuaire à la source. ERN, c’est la possibilité d’aller sur d’autres rivières, répondre à d’autres combats ou porter d’autre projets.
Roberto est ainsi beaucoup appelé en Europe. Il transmet beaucoup, de ce qu’a été et de ce que continue à être l’esprit Loire Vivante. Ainsi, chacun des intervenants a un peu sa spécificité, sa propre culture sur l’eau. Et SOS porte une dimension citoyenne, elle se veut un relais de la société civile. Par exemple, on nous appelle souvent quand, quelque part, il n’y a plus de dialogue entre protagonistes, pour remettre de la discussion. Pour éviter que les rivières vivantes se transforment en réserves sans hommes. Là dedans, on a trois priorités : la sensibilisation et l’information, la protection des milieux et la place de l’homme dans tout ça. Pour nous, l’important, c’est de s’interroger sur comment vivre avec le cours d’eau. Comment on installe une gouvernance dans la Haute vallée de la Loire par exemple ? Par quels moyens ? Et pourquoi faire ? Voilà ce qui nous occupe. On cherche des relais institutionnels. C’est notre ADN, c’est lié aussi à l’histoire de SOS. Mais cet ADN peut se recomposer au fil du temps selon une logique d’opportunités, ça peut dépendre de ce que propose l’Europe, L’Etat, la région.. On a des yeux partout. C’est du travail de veille, de commissions, de lobbying au fond… On est en lien avec beaucoup de réseaux et ça nous offre beaucoup de possibilités, de voies encore à ouvrir… Par exemple, on a créé un label « Site Rivières Sauvages ». C’est un outil de protection, de communication et de valorisation des rivières. Il permet aussi de lever des fonds privés. Aujourd’hui une trentaine de rivières françaises sont labellisées selon 47 critères – contrôlés par un organisme indépendant l’AFNOR Certification-, toutes avec une gouvernance et un programme d’actions pour conserver un bon état environnemental. Le déclencheur de cette belle dynamique a été la construction d’un barrage EDF qui a saccagé un fleuve côtier majestueux, le Rizzaneze, en Corse. On s’est dit : plus jamais ça ! Et ça fonctionne tellement bien qu’on est maintenant appelé à l’international pour adapter le label dans d’autres pays et ouvrir des voies nouvelles.
L’idée qu’on défend, partout, c’est que la restauration coûte très cher et qu’il vaut mieux conserver et faire de la prévention. On essaie de faire comprendre aux institutions qu’une rivière labellisée, ce peut être une pépite pour le développement du coin, que ça crée de la valeur… Nous, on veut que les hommes se rapprochent des rivières mais les respectent aussi. Il faut changer tout un esprit en fait…C’est ça qu’on fait depuis 30 ans et qu’on tente de poursuivre. C’est l’esprit Loire Vivante.
Rue crozatier, la fourmilière…
Concrètement, ici, rue Crozatier, le travail, c’est Christèlle, depuis 12 ans, qui s’occupe du secrétariat, de la gestion du courrier et des adhérents ; Catherine des finances depuis 5 ans ; Manon de l’activité pédagogique et notamment du RIFM (Rivières d’images et fleuves de mots) programme reconduit annuellement par lequel toutes les écoles qui le désirent peuvent utiliser gratuitement des supports pédagogiques utilisant la rivière comme entrée de sensibilisation à l’écocitoyenneté. En télétravail, il y a aussi Corinne qui travaille sur l’hydroélectricité et les sujets européens, Anne Fanny sur la communication et les sujets Loire et puis Alexis sur le risque d’inondations.
Beaucoup de personnes en service civique sont intéressées aussi. Pas loin de soixante-dix depuis les débuts sont passées par ce local. Il y a Bonnefont, les chemins à entretenir, le BIG Jump à organiser ( qu’on vous présente plus en détail dans l’article « l’enracinement » avec le RIFM), des guides, des accompagnateurs… « Toujours quelque chose à faire, c’est pas ce qui manque… Moi, je vais défendre des dossiers, porter la voix de SOS partout où c’est nécessaire. Le travail quotidien est très intense et cette intensité est très corrélée à la nécessité d’aller chercher des financements indépendamment de nous. On a un budget, chiffres de 2018, de 550000 euros, 270 000 pour les seuls salaires, presque 70 % provient de fonds publics liés directement à la réalisation de projets. Le reste, ce sont des prestations ou des partenariats privés, comme avec le fonds de dotation des rivières sauvages.
L’art de la continuité : encore et toujours les partenariats et le réseau.
Les collectivités qui nous font confiance signent des contrats pluriannuels avec nous (comme par exemple l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, l’Office Français sur la Biodiversité, le Conseil Supérieur de la Pêche…). On a des accords cadre nationaux passés avec les agences de l’eau comme par exemple sur le programme Rivières sauvages ( le deuxième plan national s’est terminé en 2018), ; nous avons également une convention avec le Ministère de la Transition Ecologique, l’Etablissement Public Territorial Seine Grands Lacs, avec l’EPL (ex EPALA), avec le Plan Loure Grandeur Nature, ce qui nous donne à la fois une légitimité et un certain cadre financier. Alors, bien sûr, pour ça, il faut avoir l’agrément protection de l’environnement. Nous, on l’a régulièrement depuis 1997. Depuis 2015, on est également habilité à prendre part au dialogue national autour de l’eau et de la conservation des milieux aquatiques. Ca nous donne également le droit d’avoir recours au contentieux si besoin, on l’a d’ailleurs fait pour Notre Dame des Landes. Il faut aussi bien voir qu’il y a en France trois instances nationales sur la politique de l’eau et sa gestion habilitées à donner des avis et faire des propositions : le Comité National de l’eau, une commission mixte sur les inondations et l’office Français sur la biodiversité, créé suite à la loi de 2016. Nous, on est la seule association en France spécialisée sur les rivières qui peut agir sur tout le territoire. Avec les pêcheurs. De la légitimité dépendent donc beaucoup de financement. Au niveau local, sur la Loire, on est maintenant partenaire de l’EPL ( ex Epala).
Un changement de paradigme...
C’est un changement de paradigme qu’a initié SOS sur la Loire : Régis Thépot qui reconnaît que notre vision incarne l’avenir ! C’est quand même quelque chose ! Le plan Loire Grandeur Nature a sanctuarisé cette vision où on essaie d’allier le développement économique, la sécurité et la préservation de la biodiversité. C’est un exemple en Europe. Hélas, aujourd’hui, le plan Loire 4 est mal en point et le 5 qui se prépare laisse à désirer : mise hors jeu de la société civile, des programmes élaborés au sommet, en catimini presque… Après, c’est vrai que la culture sur le fleuve a changé, c’est une grande victoire…
Rester lucide...
Mais il ne faut pas trop enjoliver le tableau non plus, beaucoup reste à faire, nos adhérents sont encore nombreux, mais ça s’érode clairement ( pas loin de deux mille adhérents à ce jour). Or, notre habilitation dépend du nombre d’adhérents. On n’a pas les finances pour rétribuer d’autres personnes et heureusement, on peut compter sur une quinzaine de bénévoles et administrateurs actifs avec des missions spécifiques et autant toujours prêts à donner un coup de main. C’est encore et toujours un combat pour être entendu. Moi qui suis vraiment toujours à l’interface entre le financier et le militantisme, je vois bien qu’il faut avoir des pieds partout mais qu’est ce que c’est chronophage ! On passe énormément de temps à monter des dossiers. Mais on n’est pas une opposition classique, on veut proposer des alternatives. On est pas seuls dans ce combat, on est jamais tout seul, c’est ce que j’ai appris depuis que je milite, mais il faut beaucoup d’énergie pour porter nos messages partout où c’est possible. Souvent, on peut se sentir un peu isolé, on a perdu le combat sur l’hydroélectricité par exemple, la WWF a abandonné ses programmes sur l’eau pour se concentrer sur le réchauffement… C’est un combat quotidien, mais on est là… depuis trente ans, on est là…
L’écologie ; c’est un mouvement de fond, pas une logique de partis. Les jeunes l’ont compris ! Mais certains combats sont difficiles. Par exemple celui sur l’électricité dite verte. Hé bien, EDF a gagné une partie : les gens confondent l’énergie renouvelable et l’énergie verte ou écologique. L’énergie hydraulique est renouvelable mais dans la plupart des cas elle a des impacts désastreux sur la rivière et ses écosystèmes !
Cela ne nous empêche pas de nous mobiliser au quotidien et ce faire ce qu’on peut, depuis 30 ans, avec nos moyens modestes,… mais c’est le seul moyen que je connaisse pour faire changer les choses ! »
En réunion. (avec M. Arnould de dos).
Michèle Arnulf
Les débuts
« Alors, moi, j’ai jamais été écolo avant tout ça mais la Loire a toujours fait partie de l’histoire familiale. Mon grand Père était originaire de Goudet, j’y ai passé toutes mes vacances enfant. La Loire coule un peu dans mes veines. Mon père, par exemple, a fait partie des sinistrés de la grande crue de 1980. Ca a été un traumatisme. On habitait Coubon avec Jean Claude ( son mari, ancien président de SOS malheureusement disparu depuis : NDLR) et la Loire a toujours été là. Avec Jean Claude, on a été dans les premières réunions, celles de Guitard. Edouard Bor arrivait avec des dossiers sous le bras rangés dans un carton de plus en plus gros. Et puis, quand l’occupation a commencé, on amenait des soupes le dimanche. C’était un défilé permanent. Il y avait avait de drôles de loustics quand même ! Mais ça ne m’a pas empêché de baptiser ma fille là bas. On amenait toujours les enfants, ça les amusait – il y avait les Fabre, la fille de Michel Soupet, ils s’amusaient ensemble – et souvent, ils nous ramenaient des poux, surtout quand il y avait encore la grande tente avec la paille dedans. Alors, on traitait.. et on y retournait bien sûr. Moi, à l’époque, je travaillais au crédit agricole mais à mi-temps, alors, ça me laissait un peu de temps et tout ce temps, je le consacrais à SOS. Qu’est ce qu’on a pu poser comme affiches ! Martin Arnould écrivait cinquante lettres par jour, à l’époque, y’ a pas internet. On tenait des stands un peu partout. Une fois, à Solignac ( NDLR : un village qui garde l’entrée des gorges de la haute vallée de la Loire), je croise mon directeur sur un marché et je l’entends encore me lancer : « alors, on défend toujours les causes perdues ! ».
Le « peuple » SOS
Dans SOS, il y avait un peu toutes les CSP, des agriculteurs, des avocats, des enseignants, des médecins. Mon mari était commercial par exemple. Sur le site, c’était autre chose : parmi les occupants, beaucoup ne travaillaient pas. Y’avait plusieurs nationalités aussi ! Pas mal d’allemands… Il y avait les autres luttes aussi où on allait soutenir : la route des Estables, le garage sous le rocher d’Aiguilhe… On a fait beaucoup de sacrifices, c’était obligé, le suivi des enfants a laissé à désirer parfois, on ne regardait pas toujours les devoirs. Mais on préparait les manifestations avec eux, ils sont un peu contestataires depuis, mais doit-on s’en étonner… ? Une de mes filles a fait un mémoire de sciences politiques sur l’art de résister et je ne crois pas qu’il s’agisse d’un hasard. C’était riche pour eux aussi sans doute.
Pour nous, c’est certain en tous cas. C’était un défilé permanent : on a pu rencontrer des scientifiques comme Edith Wenger ( de l’institut des plaines alluviales de Raastadt), Bernard Rousseau (de Nature Centre), Christine Jean de Loire vivante. Des journalistes. Qui venaient de toute l’Europe. D’ailleurs je crois qu’on a gagné parce qu’on a internationalisé. Sinon.. Et là, Roberto EPPLE... Il m’a marqué celui-là, mais comme beaucoup ici. C’est vrai que SOS a été créé sans lui mais on était quand même des bleus tous. Y’avait des écolos, des vrais, qui avait toujours lutté, mais jamais gagné. Et Roberto, il est arrivé avec son camion rouge. Et aussi avec son expérience, sa victoire sur le Danube. On était content qu’il structure un peu. Bon sang, on travaillait tous et les journées n’ont que vingt quatre heures. Le site, ce n’était pas si facile à gérer aussi… Lui, il est arrivé avec une armée de fax. Il a donc fallu un local : c’est moi qui l’ai trouvé, rue Crozatier. C’était une ruche là dedans. Des contacts partout. Il savait où il allait et il a pris le pouvoir petit à petit. Il avait le caractère pour ça. Il y a eu des tiraillements évidemment. Mais s’il a pu le prendre, c’est parce qu’il était efficace. On avait des entrées aux ministères, accès aux élus, c’est là qu’on a gagné… Et puis, y’a eu le rassemblement européen... C’était une énorme organisation.. C’était magique aussi.. Mais quel boulot ! Il a fallu nourrir les gens. Il a plu. On a eu un gâchis de nourriture incroyable, on a presque tout jeté. Mais cette manif dans les rues avec tous ces poissons ! Tout ce monde ! Et pas une once de violence… Jamais. A part quelques baffes et coups de pieds à Picard et Thépot je crois. Non, nous, la violence, c’était non.. On l’a subi plutôt. Tout le monde était pas avec nous, loin de là, dans la vallée d’abord. Il y a eu les coups de feu au dessus du camp, les cabanes incendiées..
Barrage au barrage...
Et puis un jour que Barrot, Royer et consorts venaient visiter le site, on leur avait réservé un accueil à notre façon : c’est à dire qu’on avait bloqué le pont de Chadron, on était là, avec des plaques en tôle ondulée sur lesquelles on avait écrit barrage au barrage je crois et on avait bloqué le convoi sur la route et on avançait comme ça, à pas ralenti. Il n’y avait pas que nous, il y avait aussi des gens de Colempce, de Collandre, du coin à qui l’Epala avait fait miroiter je ne sais quoi au niveau de l’achat de terrain et ces gens disaient aux gardes mobiles armés qui nous poussaient : « mais prenez celle là et jetez là dans le fleuve». Je l’ai vraiment reçu en pleine figure. Fallait être solide. Moi, rien ne m’avait préparée à ce genre de trucs. Quand vous vous engagez dans ce genre de mouvements, vous ne vous attendez pas à subir des trucs comme ça… Heureusement, entre nous, il y avait une solidarité très forte, des fêtes souvent… Les dimanche au site…
Le 4 janvier 1994
Et puis, il y a eu la victoire surtout. Qui a mis du baume sur bien des plaies. Le 4 janvier 1994. On était tous au site. Il faisait un froid de chien… Jean Claude ( NDLR, Jean Claude Arnulf, président de SOS Loire vivnate de 1994 à 1996) était à Paris, au ministère. Je ne sais plus comment on l’a appris, qui l’a dit le premier. Mais d’un coup, il y a eu une rumeur et on s’est tous retrouvé à brailler : on a gagné, on a gagné. A ouvrir des bouteilles de champagne. A chanter. Y’a toujours eu des chansons. Jacqueline Arnould nous en trouvait toujours une.
Et après…
Je suis toujours adhérente mais plus beaucoup engagée. Jean Claude a été président de SOS en 1994. Mais il avait son travail qui lui prenait beaucoup de temps et quelques tensions au niveau de SOS LOIRE VIVANTE lui pesaient un peu. Il voulait aussi profiter un minimum de sa famille. Donc il n’a pas pu continuer très longtemps son rôle de président. Mais il aimait toujours beaucoup cette lutte où nous avons fait de très belles rencontres. Et ça, c’est toujours là…
André Pélissier, d'une lutte à l'autre...
Ouvrier syndicaliste
« Moi, à ce moment là, je suis syndicaliste et ouvrier mécanicien dans une boite de textile au Puy qui s’appelait Elastelle. C’est comme ça depuis 1965 que je suis revenu de l’armée. Je militais politiquement aussi à la LCR mais j’étais pas très assidu. Mon truc, c’est vraiment le combat syndical pur et dur. Par exemple, en 1981, on a occupé l’usine pendant un mois. Avec l’élection de Mitterrand, on a fini par gagner avec un montage financier garanti par l’Etat. L’usine est toujours là. Reprise pas ses salariés.
Et La Loire ?
La Loire, moi, je connais comme tout le monde ici. J’allais m’y promener, je pêchais un peu. Mais pas plus que ça. En 1980, pour la crue, j’habite Brives quand même, j’ai pris deux de congés pour aller aider à remettre en état. Au début de l’affaire, j’ai suivi ça de loin. J’avais bien vu que Barrot et Proriol ( deux députés du département, de droite) étaient pour le barrage et je me suis dit que si ces deux là sont d’accord, c’est pour baiser le monde. Voilà. J’avais un esprit militant d’opposition. Et j’en parle à la section départementale, sur le mode faudrait faire quelque chose quand même, mais tout le monde s’en contrefout un peu. A part Raymond Vacheron (NDLR : militant LCR bien connu sur le département de toutes les luttes et de toutes les élections). Mais lui, c’est normal. Alors, je fais ce que j’ai à faire de mon côté sans demander mon reste. Et là, je découvre tout un monde. Le nucléaire, les soutiens d’étiage, tout ça… Des trucs que je ne connais absolument pas. Je reste un peu comme un compagnon de route pas plus. Jusqu’à la manif européenne. Où là, je me dis mais ça fait du monde quand même. Nous, on est jamais arrivé à ça, en trente ans de militantisme. Même si on avait occupé l’usine nous aussi, pendant un mois. Je me dis : mais qu’est ce que c’est que ce cirque ? C’était sérieux là. Je me suis dit : c’est là qu’il faut être… Edmond Maire, mon patron, envoie même un mot à la préfecture pour dire que je ne représente pas le syndicat, que je suis un électron libre. Moi, je continue, j’assiste à quelques réunions, je restais dans mon coin, il fallait écouter. C’était un moment où ils essayaient d’élargir l’opposition avec la création d’un collectif d’associations locales contre le barrage : ils appelleront ça le comité pour une haute Loire Vivante. Avec une trentaine d’associations locales. Dont la CFDT, le parti socialiste, la LCR… Y’avait des tiraillements sur le rôle de Roberto, l’acceptation de l’internationalisation, des médias etc etc.. Y’avait des durs, des mous, des moins durs, des plus durs… L’arsenal habituel. Que je connais bien. J’ai un peu épaulé Roberto sur les questions d’organisation. C’était passionnant.
C’était pas une lutte comme les autres...
Et c’était pas une lutte comme les autres. Comme toutes celles que j’avais connues. Sur le plan personnel, j’ai commencé à me poser des questions sur la nature, à vivre autrement l’absurdité des décisions des technocrates et élus. En plus, on devient force de propositions. On sortait du balisé pour moi, les luttes classiques du travail à la chaîne, et on passe des réunions entières à évoquer des solutions alternatives. C’était une autre façon de militer. Je côtoyais des gens sans passé militant qui s’investissaient à fond, avec leur bite et leur couteau comme on dit. Au final, on faisait des propositions, dans les réunions, il y avait autour d’une cinquantaine de personnes, l’expression était très libre, beaucoup d’ouverture d’esprit. Je sais pas comment dire, mais on sentait que les gens avaient envie de gagner. Vraiment. Il y avait plein d’accrochages évidemment, c’était pas non plus tout lisse, mais il y avait une bonne ambiance. C’est certain ; toujours quelqu’un pour avoir une idée ou un truc à fêter. Il y a eu des mariages, des baptêmes sur le site. Des festivals. Des concerts. Une fois, on avait prévu une saucisse lentilles à je ne sais quelle occasion et il avait plu des cordes toute la soirée. On a tout congelé et on a en bouffé pendant trois mois. J’en pouvais plus ! Mais on était là. Toujours là. On s’incrustait. On avait quand même 1500 adhérents à Brives, la ville martyrisée par la Loire. On a trouvé quelque chose qui parlait aux gens, c’était clair.
La matière grise et l’occupation du site…
Cette lutte m’a marqué parce qu’on a fait avancer le problème de la gestion de l’eau sur le plan national et international aussi. Il y a eu un avant et un après Serre de la Fare. Les décideurs n’ont plus réfléchi à l’aménagement des fleuves de la même façon. Et c’est parce qu’on a été force de propositions qu’on a gagné. Mais on a pas eu que la matière grise. On a occupé pendant cinq ans ; putain, c’est long ! Ca veut dire qu’on a eu des couilles aussi. Moi, j’ai jamais occupé. Mais les gars, ils ont fait ça aussi… La quatrième solution a été crédible face à la merdouille de l’Epala. On était très conscient de ça et on se disait : si on trouve quelque chose, on gagnera. Et c’est ce qu’on a fait… Et moi, c’est la seule lutte de toute ma vie où on a gagné sur toute la ligne. Les luttes syndicales, c’était pas comme ça. Souvent tu gagnes un peu et tu perds beaucoup de l’autre côté.
Alors, les cuites, on les a bien méritées toutes ces années. Et moi, je me souviens avoir fait une interview avec je ne sais quel journaliste, ce jour de janvier 1994, après la victoire, en chialant comme un gosse, sous le pont de Brives.
Je reste un militant.
Après, je reste un militant de la cause de l’eau. J’ai même été président de SOS entre 1995 et 1997. Je suis pas fait pour ça, je sais pas organiser, mais j’ai rendu service après le décès de Jean Claude. Et après 1994, je tire encore mon chapeau à Roberto et Jean François Arnouldt pour avoir tenu à bout de bras le collectif après la victoire et d’être toujours là. Presque dix emplois salariés. Pas loin de trois mille adhérents. Un site très suivi. Une audience internationale. On est toujours là. On va changer de local pour plus grand. Toujours au 8. Un étage plus bas. Je viens de refaire les planchers. Ils seront bien, tous, c’est plus lumineux… On s’occupe d’éducation maintenant, c’est essentiel les générations futures, c’est pour elles tout ça, après tout, de gestion, c’est un combat, faut être sur la brèche en permanence, dans les commissions, les couloirs des ministères…
Mais la gestion de l’eau, elle a fait un bond en avant, partout dans le monde. Tout n’est pas parfait mais y’a eu des avancées… Et moi, je continue à cirer des parquets… Je ne sais pas si les jeunes reprendront le flambeau mais remplacer Roberto, ce sera dur, c’est une certitude… Le mas de Bonnefont est sous utilisé, faute de quelqu’un pour s’en occuper à plein temps. Le regroupement des fermiers dans le cadre du MAB n’en est qu’à ses balbutiements. La rétrocession des terrains n’est pas terminée encore. On a quand même l’école de la nature à Colempce. On a fait un compromis à Poutés. Mais à chaque fois, c’est une bagarre. Tu as l’impression de passer ta vie à te battre. Il te faut une sacrée passion, ne pas hésiter à donner des coups dans la fourmilière, parce que si t’es mou du genou, t’arrives à rien. Il faut une putain de capacité physique. Mais ça finit par te porter. Moi, ça m’a ouvert à m’ouvrir à la gestion de la vie autour de moi… A être plus attentif aux rêves des hommes et moins au matérialisme…
Et la science de l’astiquage des parquets…
l'intérieur du 8, rue Crozatier
sur les murs...
Robert Portal
Un artiste pour la Loire
« Mon frère et moi-même avons toujours aimé la nature »… Oui, parce que ce qu’il faut dire tout de suite, c’est que, dans l’esprit des gens, Portal est d’emblée un pluriel : on dit les frères Portal, comme les frères Cöen pour les cinéphiles, ou Revelli pour les (vieux) footeux. Robert donc, et Henri-Claude. Mais ce dernier a été appelé bien trop tôt pour un long voyage du côté des anges. Alors les frères Portal me direz-vous? Prononcez ce nom à n’importe qui ayant oeuvré dans le sillage ouvert par les opposants au barrage et vous aurez certainement droit à un grand sourire, aussi sûrement que demain il fera jour ou qu’il pleuvra en Normandie. Robert aime en effet la nature, et particulièrement le monde végétal. Tant et si bien qu’on le retrouve un beau matin de janvier à son domicile de Vals près le Puy en train de dessiner des planches botaniques pour son ouvrage en préparation, consacré aux différents types d’avoine du monde entier. «J’ai commencé à m’intéresser à la botanique vers la trentaine. Ayant fait les Beaux-Arts, j’avais une formation de dessinateur, c’est cette capacité graphique alliée à mes connaissances botaniques qui m’ont permis d’envisager la réalisation de livres».
Au début donc…
Au début de la mobilisation contre les projets de l’Epala, c’est d’abord Henri-Claude et la maman des frangins qui sont à la pointe : « A l’origine, on a vu une affiche de Jacques Adam dans les rues du Puy, qui appelait à une réunion, ce sont d’abord mon frère et ma mère qui ont franchi les premiers les portes de ce qui allait devenir l’arène d’une lutte de grande envergure. D’abord à partir de réunions informelles, avant de se structurer en réunion hebdomadaire au centre socio-culturel de Guitard. Nous n’étions pas toujours présent en Haute-Loire pour assister à ces réunions épiques, mais nous restions en contact avec ce qui se passait. Notre métier de musicien nous retenait à Paris une grande partie de l’année, tentant d’émerger sur la scène jazzy parisienne ».
La musique…
Et oui la musique !! Parce que les frères Portal, c’est d’abord et avant tout la musique. A leur début à Paris, ils ont réunis autour de leur projet musical deux autres frères, les frères Hayward, musiciens américains résidant dans la capitale pour former un groupe qui s’appelait le Newtone Experience. Plus tard leur parcours et leurs options musicales font qu’ils côtoient la musique indienne et ce tropisme pour l’Orient les amène en Inde pour deux séjours. À leur retour ils conçoivent eux mêmes des modèles de guitare à double manche pour se rapprocher des instruments indiens tel le sitar. Douze albums au compteur, de nombreux concerts dans toute la France et toujours ce combat qui les hante contre les projets de barrage sur la Loire.
Parce que ans cette lutte protéiforme pour la Loire sauvage, la musique n’a pas été anecdotique. De l’avis unanime, on ne peut pas comprendre la mobilisation si on ne prend pas la mesure de l’importance de la musique, des soirées d’hiver réchauffées par les sons des guitares des frangins, des nuits d’été que prolongeait l’accordéon de Roberto ou le piano de Michel Soupet, sans oublier les textes de Jacqueline Arnould ( voir par ailleurs les textes de souvenirs de Jean François Arnould et Michel Soupet pour se rendre compte de l’importance de l’esthétique, des sons et d’autres choses plus intemporelles dans les souvenirs des uns et des autres). Il s’est passé en effet beaucoup – qu’on ne saurait décrire à posteriori- dans ces quelques notes adressées aux étoiles au dessus des gorges. Beaucoup, c’est pas grand chose, mais pourquoi vouloir mesurer ce qui est et restera de l’ordre de l’impalpable. Parce que, sans doute, il y a des choses qui ne peuvent être décrites, juste vécues …
Et c’est sans doute pas plus mal ainsi.
«Avec mon frère Henri-Claude, étant donné notre présence à Paris, il ne nous était pas possible d’être toujours à l’oeuvre sur place afin d’aider à consolider cette lutte dans le but de garder intacte la Haute Vallée de la Loire. Il n’empêche que, même à Paris, on pouvait diffuser la bonne parole en tenant des stands dans des salons écologiques comme Marjolaine, ceci durant plusieurs années consécutives. Dés le début de la bataille, j’ai aussi commencé à faire quelques dessins satiriques dans le bulletin de S.O.S. Loire Vivante, pour ridiculiser nos adversaires. C’était d’ailleurs assez facile de caricaturer Jean Royer, le grand manitou de l’Epala, personnage burlesque dans sa façon de concevoir la protection des habitants en cas de crue de la Loire. Comme dirait Bergson : il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits !».
Poissons pancartes et caricatures
Les poissons, les fameux poissons-pancartes de S.O.S. Loire Vivante, c’est aussi Robert qui en a eu l’idée. Et on peut dire que ça a fait florès. Ils ne cesseront d’accompagner les récalcitrants au béton partout où leur pas les mèneront : à Serre de la Fare bien sûr, partout sur le parcours du fleuve, devant les ministères, les préfectures, partout où se niche le pouvoir, les autres lieux de barrages, à Chambonchard, au Veurdre, à Naussac… Très vite, ils organisent des ateliers où tout le monde peut faire son poisson-pancarte. Déjà, lors de la manifestation d’octobre 1988, on en comptait plusieurs centaines, en carton, en contreplaqué, en chiffon. Pareil en plus grand le long du cortège européen qui a rassemblé près de 10.000 personnes dans les rues du Puy en Velay. «J’ai en mémoire tant de souvenirs d’actions pour déstabiliser, pour fragiliser les promoteurs de l’emprisonnement de la Loire, notamment cette campagne publicitaire sur des panneaux de trois mètre sur quatre montrant l’urgence de préserver la vie aquatique. Politiciens et services de l’état qui se demandaient où nous prenions toute cette énergie et ces moyens financiers pour mener une bataille sans merci.
Au sujet de l’occupation du site de Serre de la Fare, je ne peux pas dire que j’étais un acharné, alors que mon frère en avait fait ponctuellement sa résidence secondaire, il aimait par-dessus tout les reflets de la Loire dans lesquels il voyait à tout moment les prémices d’une victoire. Je le rejoignais quand même assez souvent pour faire dialoguer le son de nos guitares avec les murmures ou les frasques du fleuve. Cette immersion dans cet écrin de nature préservée nous faisait du bien, car la vie parisienne n’était pas toujours de tout repos, pas évident d’imposer notre musique sans concession face au clinquant de la mode. De fait, difficile de gagner correctement sa vie. On vivait toujours dans un tout petit appartement. C’était pas facile tous les jours, c’est le moins qu’on puisse dire…
Mais ici, au moins on a gagné… la vie de la Loire !… ».
Philippe Lhort
En 1987, j’obtiens ma maîtrise de droit public. Et très vite, j’entends parler d’un projet de barrage par la mère de ma compagne de l’époque. Je ne travaille pas, alors j’ai du temps. Je suis un peu l’affaire mais de loin tout au long de 1988. Et en février 89, quand la DUP est signée, on comprend qu’il faut occuper. Et bien, c’est ce qu’on fait. Tout de suite. On met une tente le long de la route. Pour surveiller. Il gèle la nuit. Et on est là. A se cailler à tour de rôle. Il y a Jérome Leyre, sa sœur, Michel Barlet, Jacques Grimault, Jacques Adam… Des gens nous amènent de la soupe. Et puis, on se dit qu’on serait quand même mieux en bas, près du fleuve. Il y a une clairière, on serait plus à l’abri. Bientôt, on amène une caravane. Michel Soupet la sienne. On plante une grande tente. On essuie des coups de feu une nuit. Et moi, je rencontre Maitre Valois, l’avocat qui gère le dossier de la route du Mezenc et qui suit évidemment ce qui se passe sur la Loire. Il m’embauche, pour suivre les recours déposé. Je me retrouve à préparer les dossiers. Moi, je suis pas écolo pour un sou au départ. C’était pas vraiment à la mode à l’époque. Mais là, c’est vraiment une vallée que j’aime beaucoup. D’ailleurs au départ, y’a que des gens du coin. On aimait la vallée quoi.
A Collandre, le jour où on arrête les engins, on sait pas vraiment faire en fait. On a bloqué quand même. On était une vingtaine peut être. Les conducteurs ont tergiversé et les mecs de Robin des Bois (une association d’activistes écologistes, spécialisés dans les opérations de ce type : NDLR) se sont enchaînés sur les engins.
Au site occupé…
Et puis au site, on s’habitue au froid. Même encore, je suis pas frileux. On a les caravanes, des petites tentes où, à plusieurs, on a pas si froid que ça. On construit quand même une cabane en bois, on fait des soirées, on est jeunes, on a toujours à manger et à boire, on se débrouille. Et puis, très vite, il y a plein de monde qui passe pour, occuper, on voit débarquer des allemands, des autrichiens, des suisses, mais aussi des gens du coin, des jeunes qui viennent par curiosité ou par conviction, ça devient un peu un spot quoi ; avec les beaux jours, il fait bon se baigner la journée, boire un coup le soir, passer la nuit à la belle étoile… Y’ a eu des personnages quand même qui sont passés : Mimosa, Michel Soupet, des marginaux de toutes sortes…Et puis, avec Valois, on commençait à avoir des succès devant les tribunaux. Le but était de ralentir la machine Epala, coûte que coûte. Jacques Adam, Michel Soupet, ils avaient une telle énergie, mais ils n’avaient jamais gagné un combat. Le WWF est arrivé, avec ses moyens. Et heureusement…En Haute Loire, au niveau local, c’était très tendu avec Jacques Adam. C’était quand même très violent comme engagement. On avait un peu tous mis tout le reste entre parenthèses, on pensait qu’à ça. Moi, je pense que je serai incapable de faire deux combats comme celui-là dans ma vie. On était quand même pas mal dans la précarité. Moi, jusqu’en 2003 quand même. Et puis combien de divorces, de séparation ? Après, fallait plus m’en parler pendant un bon moment. La famille, les amis s’inquiétaient par rapport au travail, à l’avenir… On a tant donné tous, autant qu’on est. Heureusement, il y en a eu des bons moments.. et on avait des références, des gens sur lesquels s’appuyer, Jean François Arnouldt, Roberto, les Robins des Bois… Jacques Adam nous a beaucoup aidé aussi sur le site.
En 2003, les choses suivent leur cours et je me retrouve directeur de la fédé de protection de la nature de Haute Loire. Ils avaient besoin d’un juriste. Financièrement, les choses étaient vraiment compliquées. Et puis, je suis marqué SOS en Haute Loire. Je suis parti en Lozére. Et en 2009, je postule à la direction du tremplin ( NDLR : une association de réinsertion et d’accompagnement des publics en difficulté) ici au Puy. Et je suis retenu. Je suis chef de service depuis 2010.
La vallée, j’y vais quasiment plus jamais… C’est drôle hein ?
Et bien sûr tous les autres qui ont aussi fait cette histoire et qu’il est impossible de tous citer ici : Jacques Adam, le détonateur, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions et partager son expérience ; avec, à ses côtés, Régine Linossier et Michel Barlet que l’on a rencontrés mais qui n’ont pas souhaité que leur témoignage soit publié ; Jean Celle ; Gilles brun… Ceux qui sont partis trop tôt : Edouard Barthélemy » doudou » ; Jean claude Arnulf, Marie Rose Vérot (photo ci dessous), Jean-Paul Besse, Jean-Paul Valois, Bernard Pays, Jacqueline Arnould… Ceux qui ne sont plus joignables ou qui ne souhaitent pas répondre : Dominique Lorrain, Mimosa, Alain Roqueplan, Robert Habouzit et tant d’autres, ceux pour lesquels le temps nous a manqué… tout un peuple en fait… dont l’histoire reste à faire aussi… Et notamment celle du comité SOS Loire Vivante dont les acteurs ont allumé, en 1988, un incendie qui brûle encore… Une autre fois ?